- Monographie de la ville de Kinshasa
Institut Congolais de Recherche en Développement et Etudes Stratégiques (ICREDES)
Le 27/11/2017
Chapitre Premier
DONNEES PHYSIQUES
1.1. Localisation
La ville de Kinshasa s’étend sur une superficie de 9.965 kilomètre carré , le long de la rive méridionale du « Pool Malebo » et constitue un immense croissant couvrant une surface plane peu élevée avec une altitude moyenne d’environ 300m. Située entre les latitudes 4° et 5° et entre les longitudes Est 15° et 16°32, la ville de Kinshasa est limitée : - à l’Est par les provinces de Mai-Ndombe, Kwilu et Kwango ; - à l’Ouest et au Nord par le fleuve Congo formant ainsi la frontière naturelle avec la République du Congo Brazzaville ; - au Sud par la province du Kongo Central .
1.2. Climat
Météo habituelle à Kinshasa
À Kinshasa, la saison pluvieuse est très chaud, oppressant et couvert et la saison sèche est chaud, lourd et partiellement nuageux. Au cours de l'année, la température varie généralement de 20 °C à 32 °C et est rarement inférieure à 18 °C ou supérieure à 34 °C.
En fonction du score de plage/piscine, le meilleur moment de l'année pour visiter Kinshasa pour les activités estivales est de début juin à mi septembre.
Température
La saison très chaude dure 3,3 mois, du 3 février au 13 mai, avec une température quotidienne moyenne maximale supérieure à 31 °C. Le jour le plus chaud de l'année est le 3 avril, avec une température moyenne maximale de 32 °C et minimale de 23 °C.
La saison fraîche dure 1,8 mois, du 17 juin au 9 août, avec une température quotidienne moyenne maximale inférieure à 28 °C. Le jour le plus froid de l'année est le 18 juillet, avec une température moyenne minimale de 20 °C et maximale de 28 °C.
Nébulosité
À Kinshasa, le pourcentage de nébulosité connaît une variation saisonnière considérable au cours de l'année.
La période la plus dégagée de l'année à Kinshasa commence aux alentours du 25 mai et dure 4,0 mois, se terminant aux alentours du 24 septembre. Le 9 juillet, le jour le plus dégagé de l'année, le ciel est dégagé, dégagé dans l'ensemble ou partiellement nuageux 61 % du temps, et couvert ou nuageux dans l'ensemble 39 % du temps.
La période plus nuageuse de l'année commence aux alentours du 24 septembre et dure 8,0 mois, se terminant aux alentours du 25 mai. Le 16 décembre, le jour le plus nuageux de l'année, le ciel est couvert ou nuageux dans l'ensemble 80 % du temps, et dégagé, dégagé dans l'ensemble ou partiellement nuageux 20 % du temps.
Précipitation
A jour de précipitation est un jour au cours duquel on observe une accumulation d'eau ou mesurée en eau d'au moins 1 millimètre. La probabilité de jours de précipitation à Kinshasa varie énormément au cours de l'année.
La saison connaissant le plus de précipitation dure 7,9 mois, du 26 septembre au 23 mai, avec une probabilité de précipitation quotidienne supérieure à 44 %. La probabilité de précipitation culmine à 87 % le 12 novembre.
La saison la plus sèche dure 4,1 mois, du 23 mai au 26 septembre. La probabilité de précipitation la plus basse est 1 % le 1 juillet.
Pour les jours de précipitation, nous distinguons les jours avec pluie seulement, neige seulementou un mélange des deux. En fonction de ce classement, la forme de précipitation la plus courante au cours de l'année est de la pluie seulement, avec une probabilité culminant à 87 % le 12 novembre.
Pluie
Pour montrer la variation au cours des mois et pas seulement les totaux mensuels, nous montrons l'accumulation de pluie au cours d'une période glissante de 31 jours centrée sur chaque jour de l'année. Kinshasa connaît des variations saisonnières extrêmes en ce qui concerne les précipitations de pluie mensuelles.
La période pluvieuse de l'année dure 10 mois, du 22 août au 21 juin, avec une chute de pluie d'au moins 13 millimètres sur une période glissante de 31 jours. La plus grande accumulation de pluie a lieu au cours des 31 jours centrés aux alentours du 14 novembre, avec une accumulation totale moyenne de 255 millimètres.
La période sèche de l'année dure 2,0 mois, du 21 juin au 22 août. La plus petite accumulation de pluie a lieu aux alentours du 9 juillet, avec une accumulation totale moyenne de 2 millimètres.
Soleil
La longueur du jour à Kinshasa ne varie pas beaucoup au cours de l'année, restant à 22 minutesde 12 heures tout au long de l'année. En 2018, le jour le plus court est le 21 juin, avec 11 heures et 52 minutes de jour ; le jour le plus long est le 21 décembre, avec 12 heures et 23 minutes de jour.
Le lever de soleil le plus tôt a lieu à 05:33 le 10 novembre et le lever de soleil le plus tardif a lieu 34 minutes plus tard à 06:08 le 20 juillet. Le coucher de soleil le plus tôt a lieu à 17:49 le 25 octobreet le coucher de soleil le plus tardif a lieu 31 minutes plus tard à 18:21 le 3 février.
Humidité
Nous estimons le niveau de confort selon l'humidité sur le point de rosée, car il détermine si la transpiration s'évaporera de la peau, causant ainsi un rafraîchissement de l'organisme. Les points de rosée plus bas sont ressentis comme un environnement plus sec et les points de rosée plus haut comme un environnement plus humide. Contrairement à la température, qui varie généralement considérablement entre le jour et la nuit, les points de rosée varient plus lentement. Ainsi, bien que la température puisse chuter la nuit, une journée lourde est généralement suivie d'une nuit lourde.
Kinshasa connaît des variations saisonnières extrêmes en ce qui concerne l'humidité perçue.
La période la plus lourde de l'année dure 11 mois, du 26 août au 12 juillet, avec une sensation de lourdeur, oppressante ou étouffante au moins 59 % du temps. Le jour le plus lourd de l'année est le 28 avril, avec un climat lourd 100 % du temps.
Le jour le moins lourd de l'année est le 30 juillet, avec un climat lourd 45 % du temps.
Vent
Cette section traite du vecteur vent moyen horaire étendu (vitesse et direction) à 10 mètres au-dessus du sol. Le vent observé à un emplacement donné dépend fortement de la topographie locale et d'autres facteurs, et la vitesse et la direction du vent instantané varient plus que les moyennes horaires.
La vitesse horaire moyenne du vent à Kinshasa connaît une variation saisonnière modérée au cours de l'année.
La période la plus venteuse de l'année dure 3,1 mois, du 23 juin au 27 septembre, avec des vitesses de vent moyennes supérieures à 7,7 kilomètres par heure. Le jour le plus venteux de l'année est le 13 août, avec une vitesse moyenne du vent de 9,7 kilomètres par heure.
La période la plus calme de l'année dure 8,9 mois, du 27 septembre au 23 juin. Le jour le plus calme de l'année est le 1 décembre, avec une vitesse moyenne horaire du vent de 5,6 kilomètres par heure.
Le meilleur moment de l'année pour visiter Kinshasa
Pour indiquer dans quelle mesure le climat à Kinshasa est agréable tout au long de l'année, nous calculons deux scores de voyage.
Le score de tourisme privilégie les journées dégagées et sans pluie, avec des températures perçues situées entre 18 °C et 27 °C. Selon ce score, le meilleur moment de l'année pour visiter Kinshasa pour les activités touristiques générales à l'extérieur est de mi juin à mi août, avec un score maximal pour la deuxième semaine en juillet.
Source : Toutes les autres données météorologiques, y compris la nébulosité, la précipitation, la vitesse et la direction du vent, et le flux solaire, proviennent de la MERRA-2 Modern-Era Retrospective Analysis de la NASA.
1.3. Relief
La ville de Kinshasa est construite sur un site topographique contrasté, parce qu’à la fois confortable (la plaine : la ville basse) et contraignant (les collines : la ville haute).
Le relief est composé d’une plaine marécageuse et alluviale dont l’altitude varie entre 275 et 300 m et d’une région des collines d’une altitude allant de 310 m à 370 m constituée des Monts Ngafula, Ngaliema, Amba et les plateaux de kimwenza et de Binza. D’une manière générale, le relief de la ville de Kinshasa peut être caractérisé par quatre principaux éléments :
– Le Pool Malebo : vaste expansion lacustre parsemée d’îles et d’îlots correspondant à l’élargissement du lit fluvial entre Kinshasa et Brazzaville. Il s’étend sur plus de 35 km avec une largeur maximale de 25 km. Du côté Kinois, il est ceinturé par la Commune de Ngaliema à l’Ouest, celle de Maluku à l’Est et traverse les municipalités de la Gombe, de barumbu, de Limete, de Masina et de la Nsele.
– La plaine de Kinshasa : espace le plus urbanisable de la ville, peu sensible à l’érosion, elle est cependant exposée à un sérieux problème consécutif au mauvais drainage d’eaux. La plaine a la forme d’une banane entourée de collines orientées dans le sens Ouest-Est. Cette configuration donne au site la forme d’un amphithéâtre. Cette plaine s’étend sur près de 20.000 hectares avec de basses masses alluviales sablonneuses situées entre 260 et 225 m d’altitude, pénétrant sur une profondeur de près de 10 km en moyenne . Elle s’étale de la Commune de Maluku à l’Est, jusqu’à l’Ouest où les pieds des collines de Ngaliema stoppent son extension. La même plaine accueille le fleuve Congo dès son entrée au Pool Malebo à l’Est et l’accompagne jusqu’à la baie de Ngaliema à l’Ouest. Elle le lâche avant qu’il ne commence à affronter les chutes de Kinsuka à Ngaliema.
– La terrasse : ensemble de croupes basses surmontant la plaine de 10 à 25 m. Elle est le vestige d’une surface qui ne subsiste que dans la partie occidentale de la ville, entre N’djili et Mont-Ngafula, au pied des collines dont il constitue en quelque sorte la première marche. Comme la plaine, cette terrasse est constituée d’un dépôt caillouteux de blocs de grès tendres mêlés de grès avec silice recouvrant une argile jaune et surmonté de limon brun.
– La zone des collines : les collines commencent à quelques kilomètres du pool Malebo. Si à l’Est, on peut considérer certaines d’entre elles comme des buttes-témoins du plateau de Batéké à l’Ouest et au Sud, à l’Ouest comme au Sud, rien n’indique clairement leur origine. Elles s’étendent sur une très grande profondeur et culminent à plus de 700 m. Elles sont arrondies aux formes molles, façonnées et modelées par les rivières locales qui creusent de nombreuses têtes de vallon en forme de cirques. Dans cette zone, les phénomènes normaux comme le ruissellement en nappe ou l’évolution des cirques par érosion régressive sont accentués du fait de l’activité humaine. Ils prennent alors une allure catastrophique.
1.4. Hydrographie
Le réseau hydrographique de la ville de Kinshasa comprend le fleuve Congo et ses principaux affluents de la rive gauche qui, pour la plupart, sillonnent la ville du Sud vers le Nord. Il s’agit principalement des rivières Lukunga, Ndjili, Nsele, Bombo ou Mai-Ndombe et la Mbale. Ces rivières sont actuellement polluées suite à la carence d’assainissement adéquat et à la pression démographique de la ville.
1.5. Sol et sous-sol
Le sol de Kinshasa est de type Arénoferrasol, constitués par des sables fins avec une teneur en argile généralement inférieure à 20%. Ils sont caractérisés par une faible teneur en matière organique et un degré de saturation du complexe absorbant faible.
Quant au sous-sol, Pain5 note qu’il est caractérisé par un soubassement précambrien. Celui-ci comprend des roches gréseuses rouges finement stratifiées et souvent fedspathiques. Il constitue la partie supérieure du système Schistogréseux et affleure au niveau des rapides au pied du mont ngaliema et au Sud de la rivière N’djili. Cette roche condensée est résistante à l’action érosive.
1.6. Végétation
Ville-province de Kinshasa, Bombo-Lumene sur le plateau de Bateke.
La végétation initiale, dans plusieurs zones de Kinshasa, fut constituée de forêts galeries d’une part et de formations herbeuses d’autre part. Les forêts galeries longeant les principaux cours d’eau, étant dans les vallées humides et de type ombrophile guinéo congolaise, ne sont plus que des jachères pré forestières fortement dégradées, intensivement exploitées et se présentent sous forme des recrus forestiers d’âges divers. Par ailleurs, un petit groupe végétal typiquement rudéral longe les rails de la voie ferrée sur une bande de quelques mètres de largeur.6 Dans l’ensemble, les observations de terrain ré- vèlent la discontinuité et la répétition de la couverture végétale. La ré- gion de Kinshasa héberge différents types de végétations : forestière, herbeuse, rudérale et aquatique. Chaque type de végétation étant lié à un certain nombre de paramètres écologiques.
Chapitre deuxième
APERÇU HISTORIQUE DE KINSHASA
Léopoldville Congo-belge 1914
2.1. La toponymie Kinshasa
Quelles que soient les significations ou les orthographes du nom Kinshasa, Ville-province et Capitale de la République Démocratique du Congo, l’on peut retenir deux hypothèses probables. La première est rapportée par P. Raymackers. Selon lui, le préfixe Ki (n), issu du mélange de deux langues Kikongo et kihumbu, désigne une colline ou un endroit habité. « Nsasa » ou « Nshasa » signifie un sac de sel. L’auteur en conclut que « Kinshasa désignait, dans le temps, un site utilisé par les populations venant du Bas-fleuve et de l’océan pour échanger du sel contre des biens (esclaves, ivoire) apportés par les populations du haut-Congo .
La seconde hypothèse est celle de H. Van Moorsel qui soutient la version suivante : « Depuis une époque très reculée, les pêcheurs Bateke échangeaient du poisson contre manioc des habitants de la rive du fleuve. L’endroit où se faisait ce commerce s’appelait Ulio. Mais en idiome Teke : Echanger = Utsaya ; Lieu d’échanges = Intsaya. C’est ainsi que le nom primitif de cet endroit (Ulio) est devenu d’abord Intsaya, puis sans doute sous l’influence de Kikongo, Kintsaya. Feu le R.P. Bittremieux (dont on connaît les études ethnographiques) disait déjà Kintshasa : « c’est le vrai nom de cet endroit ». D’où finalement Kinshasa . Kinshasa ou N’shasa est le principal « lieu d’échange » de la rive méridionale du Pool où se pratique le troc avant même l’essor commercial de Kintambo. Le toponyme Nshasa, dit-on, dérive du verbe teke tsaya (tsaa) qui signifie « échanger ». Et la forme substantive intsaya (insaa) désigne tout lieu d’échange « marché ». Cette place fut le lieu où des courtiers teke, l’ivoire et les esclaves amenés en pirogue par les Banunu Bobangi confondus avec les Yanzi, échangent contre les articles de troc européens apportés par les Zombo et les Kongo . Somme toute, l’appellation historique de Kinshasa reste connue sous la forme « Nshasa », comme l’écrit du reste H.MS Stanley, en parlant de la visite, le 14 mars 1877, « du roi de Nshasa » au cours de sa traversée de l’Afrique, de Zanzibar à Boma (1874-1877).
2.2. Nshasa, un vieux village entré dans l’histoire au 17ème siècle
Léopoldville en 1896 - Kintambo et la baie de Ngaliema
L’entrée du village Nshasa d’origine teke, dans l’histoire, date du 17ème siècle à la suite du voyage dans la région du Pool des missionnaires capucins italiens, Girolamo da Montesarchio (1654), Luca da Caltanisselta et Marcellino d’Atri (1698). Ce sont eux qui baptisèrent Ngobila, Chef de Nshasa. Dans son ouvrage consacré à la fondation de la station de Léopoldville, Stanley situe ce poste à une dizaine de kilomètres de « Nshasa » dont il dit « niché dans l’ombre de ses puissants baobabs et compte environ 500 soldes hommes adultes. « Nshasa », déformé aussi en « Kinshasa », pour ainsi dire, constitue un toponyme qui ne date pas de 1966 quand, à la suite de la décision prise par le Chef de l’Etat de l’époque, la capitale de la RDC n’a fait que recouvrer cette appellation pluriséculaire. La tradition orale, confirmée en 1698 par les missionnaires italiens ainsi que par d’autres écrits, reconnaît que les habitants de Nshasa sont des Babali (gens du fleuve) venus de la rive droite en face de Bolobo. Avant de s’établir sur la rive méridionale, ils ont transité par l’île Bamu.
L’agglomération de Nshasa pouvait compter dans son ensemble 5.000 habitants. Selon Bontinck, Nshasa a eu à entretenir des relations plus ou moins suivies avec la station Stanley Pool, dénommée Léopoldville le 9 avril 1882, en se greffant sur tous les hameaux et villages teke et humbu existant sur les rives du pool. C’est ainsi que : - le 1er janvier 1882, Stanley se rend à Nshasa à bord de son bateau ; - le 26 mars, il renouvela sa visite à Nshasa ; - à partir du 31 mars, les habitants de Nshasa prirent l’habitude d’aller offrir de l’ivoire à la station de Stanley Pool, - en 1883, à la demande de Stanley, une petite station fut établie à Nshasa par Anthony B. Swinburne, secrétaire personnel de Stanley. C’est vers l’année 1891 que Nshasa, cette colonie riveraine teke, va disparaître.
2.3. Kinshasa site commercial du royaume Teke
Le Royaume teke avait développé une tradition commerciale avec ses voisins : les gens des eaux (Bobangi, Banunu, Yansi, etc), le Royaume Kongo et le Royaume Loango et permettait ainsi le passage des marchandises, en provenance de l’océan, ou vers l’océan. Le Pool Malebo servait de carrefour pour deux zones.
La première zone allait de la côte de l’océan atlantique jusqu’au Pool Malebo. Elle était surtout une zone de passage des marchandises et était drainée par des routes. Elle avait pour activité principale, le courtage. Le fleuve Congo n›étant navigable qu›à certains endroits dans cette zone, il y avait donc un important réseau routier, composé des routes qui reliaient le Pool Malebo aux principaux marchés de la zone tels que Tungwa, Tshela, São Salvador, Kimongo, Ludima, etc. et constituait l’essentiel du trafic sur cette zone. Il y avait également un ensemble de ports se situant, soit aux points de rupture des charges, soit à l’estuaire du fleuve : Noki, Manyanga, Lukunga ; Matadi, Boma, Vivi, etc. 18 La seconde zone était essentiellement fluviale et allait du Pool Malebo jusqu’au confluent des rivières Ubangi et Uélé. Elle était considérée comme zone des maîtres de la navigation du fleuve Congo et de ses affluents tels que, Alima, Likona, Lolonga, Kasaï, Ikelemba, Ruki l’Ubangi entre le Pool Malebo et le pays des Bangala.
Contrairement à la première zone qui a été désignée comme zone de passage des marchandises, celle-ci est une zone de production : poteries, sel, alcool de canne à sucre, ivoire, gomme copal, etc. Le Pool Malebo était considéré comme le principal entrepôt et le grand carrefour de cet axe commercial, car il en constituait le point de rupture des charges le plus important.
De manière naturelle, des cataractes situées entre le Pool et l’estuaire du fleuve Congo s’érigent en obstacles, empêchant l’accès au Pool par voie fluviale. Le voyage par voie terrestre à travers des collines escarpées, ardemment chauffées par le soleil tropical, semblait effrayer même les plus intrépides. Ces obstacles ne permirent, ni au commerce européen, ni aux explorateurs, de pénétrer dans le bassin du Congo.
Il y eut après Diego Cão, plusieurs tentatives de remonter le fleuve par l’estuaire partant de la côte atlantique, mais elles échouèrent toutes, les soixante-six chutes et rapides qui s’étendent de l’estuaire jusqu’au Pool Malebo, s’opposant comme une barrière infranchissable. Jusqu’au 19ème siècle, le commerce européen se limitait à la côte atlantique
. Le Père Geronimo Jérôme de Montesarchio, missionnaire capucin italien, admire dans ses lettres concernant ses voyages à Mpumbu, ré- gion considérée comme la voie obligée pour atteindre le royaume Tio « Teke » de Makoko sur la rive septentrionale, l’existence à Kinshasa d’une grande agglomération vers le XVIIè siècle. D’autres capucins italiens comme Luca da Caltanisetta et Marcellino d’Atri témoignent de l’existence à Kinshasa d’une grande agglomération vers les années 1698. Leurs récits parlent par exemple de l’emplacement de plusieurs villages par lesquels ils sont passés : Mbanza-Lemba, Kintambo, Kimbangu, Kimwenza, Mpumbu, Binza, Funa, Lukunga, etc..
Au dix-neuvième siècle, le grand commerce fluvial s’intensifia malgré l’interdiction de la traite négrière. Partant du Pool Malebo, des caravanes des porteurs acheminaient les marchandises vers les comptoirs situés près de l’embouchure du fleuve. Michel Merlier rapporte que « des « linguisters », sortes de commis voyageurs congolais, parcouraient le Bas Congo pour guider vers Boma des caravanes d’esclaves porteurs d’huile, d’amandes, de palme, d’arachides, de sésame, d’ivoire, et ensuite de caoutchouc : certains jours, jusqu’à dix mille congolais fréquentaient les comptoirs où l’on fondait les pains d’huile sur d’énormes réchauds »
. Les femmes des villages riverains ont connu des changements dans leurs pratiques économiques suite au grand commerce fluvial. Par exemple, on trouvait très peu de champs cultivés par ces femmes.
Elles étaient davantage occupées à l’artisanat et particulièrement à la poterie. De même, elles préparaient d’énormes quantités de pain de manioc (chikwangues) pour les caravanes des commerçants qui campaient périodiquement dans les grands villages. Elles participaient aussi aux marchés locaux des vivres tenus par les femmes des villages de l’hinterland.
Les Humbu étaient ainsi les fournisseurs des produits vivriers aux grands villages riverains. A leur tour les habitants des grands villages riverains, revendaient la plus grande partie de ces produits aux commerçants des caravanes durant leurs campements au Pool. Les Bobangi acheminaient au Pool, on trouvait également des marchandises destinées à la consommation locale ; des vivres divers : boissons alcoolisés, bois, objets métalliques de luxe, et d’usage quotidien, les produits de l’artisanat, les pirogues, etc.
L'effondrement du commerce teke est lié au fait que les chefs Teke étaient opposés aux corvées que l’administration coloniale voulait imposer à leurs gens : travail dans les factoreries, construction des routes, etc. Les premières factoreries installées à Kinshasa par exemple, durent faire appel à une main d’œuvre recrutée à partir de l’intérieur du pays.
Par ailleurs, l’administration coloniale reprochait aux Teke de ne pas se livrer suffisamment à l’agriculture. Ils avaient très peu de champs de manioc et s’approvisionnaient eux-mêmes auprès des villages situés dans l’hinterland et sur les collines. Ils étaient beaucoup plus intéressés par le commerce fluvial et particulièrement par le commerce de l’ivoire. Le poste de Léopoldville connaissait de ce fait, régulièrement des périodes de pénurie de vivres. L’administration coloniale les trouvait donc paresseux et peu travailleurs. De même, en s’occupant du commerce de l’ivoire, ils se maintenaient comme des concurrents commerciaux tenaces.
Tout ceci mis ensemble, les Teke riverains et leurs chefs, apparaissaient aux yeux de l’administration coloniale comme n’étant, ni commodes, ni faciles à vivre.
La fondation du poste de Léopoldville et le lancement de la navigation à vapeur sur le fleuve (par Henry Morton Stanley en 1881) vinrent désorganiser, puis mettre fin à l’emprise des Teke sur ce commerce. Le système commercial du fleuve Congo s’effondra donc, avant de se transformer vers la fin du dix-neuvième siècle, à cause de la sé- paration de l’axe fluvial entre les Français et les Belges, de l’établissement des maisons de commerce dans les anciens villages riverains, du développement de la navigation à vapeur et du développement des voies ferrées.
L’installation européenne, bouleversera l’équilibre des échanges traditionnels, achèvera la ruine du royaume de Makoko, jadis si puissant, avec un système centralisé ; l’affairisme sur le Malebo devient sans lendemain.
Les villages teke vidés de leurs habitants et de leurs chefs, l’administration coloniale disposait désormais de l’espace et du pouvoir né- cessaire pour exécuter ses plans. Des plantations de café, de cacao, et de tabac furent aménagées sur les sites des anciens villages. Un camp d’instruction pour la force publique fut fondé à Kinshasa. On y donnait pendant dix-huit mois, une formation militaire à des recrues en provenance de la région équatoriale et de l’Afrique occidentale. Plusieurs baobabs qui ornaient jadis le village de Kinshasa furent abattus à la dynamite, permettant ainsi le tracé de l’avenue du camp militaire qui deviendra plus tard l’avenue des aviateurs.
Quant aux autres anciens villages de la rive méridionale, leur situation ne fût pas meilleure. Lemba, par exemple, fut incendié en 1888 et ses habitants dispersés. La colonisation fit une rupture de l’ordre ancien qui lui était défavorable et organisa un nouvel ordre coutumier avec ceux qui lui étaient favorables.
Le refus des Teke aux corvées imposées par l’administration coloniale fut à l’origine des démêlés qui les obligèrent à organiser un exode massif vers l’autre rive. C’est en 1891 que le chef Ntsuvila de Kinshasa, le chef Bankwa de Ndolo ainsi que leurs sujets abandonnèrent les villages teke de Kintambo, de Kinshasa, et de Ndolo et demandèrent asile en s’engageant à respecter l’autorité française. Ils traversèrent le fleuve pour se réfugier sur la rive septentrionale. On leur accorda une terre à M’pila où ils reconstruisirent un village. Le chef Ngaliema de Kintambo traversa aussi le fleuve pour se réfugier sur l’autre rive quelques temps après (Ayimpam 2006) et (Bontinck 1982b).
La nouvelle organisation du pouvoir coutumier prolongera la chute des Teke. En effet, lors de l’arrivée des Européens, il y avait des Teke dans toute la région, et un village ou deux des Kongo s’y trouvaient englobés, vivant sous le système Teke.
2.4. Anciennes agglomérations de Kinshasa
Dans un article sur « Les anciens villages des environs de Kinshasa », Léon de Saint Moulin réitère le mérite de la première carte détaillée du Stanley Pool, l’actuel site de Kinshasa dont Kintamo (Kintambo), Kinshasa, Lemba et d’autres villages tels que Ndolo, Kingabwa, Mokila, Kinsuka, Kimbana, Jila, juste avant la rivière de même nom, Mbangu, Nkunga, un village sans nom, Kimpoko et un autre village sans nom, tous situés dans la rive méridionale. Ces indications s’étendent vers l’Ouest jusqu’à Lutezu, à une dizaine de kilomètres de Kintambo et assez au Sud de Ndolo, le village de Lema. Elles s’étendent aussi vers le Sud jusqu’à la ligne de partage des eaux de la Lukaya et des affluents directs du Congo, vers l’Est jusqu’à Tuo, un peu avant Kinkole, mais en ne retenant que les villages relativement proches du fleuve. Cette zone correspond à l’ancienne ville de Kinshasa et aux groupements reconnus de Lutendele, Binza, Selembao, Masina et Mikunga.
Le village principal, selon Léon de Saint Moulin, était Lemba ou Mbanza-Lemba, qui était un grand centre commercial. Antoine Lumenganeso Kiobe cite à ce propos, les villages Kintambo, Kinshasa, et Mbanza Lemba.
Les agglomérations considérées comme des « villes » ou parfois capitales devaient leur développement au fait que les rois y résidaient avec toute sa grande famille, sa cour, sa suite de courtisans et les artistes au service de la cour. Tout ce monde vivait des faveurs du roi. Ce dernier profitait de ses sujets éparpillés partout dans le royaume.
2.5. Pénétration européenne
Il nous semble important de rappeler le fait que la zone du Pool Malebo est restée inaccessible aux européens pendant plusieurs siècles. Le bassin du Congo a connu ainsi une colonisation tardive, contrairement aux régions de l’Afrique occidentale. Certes, les obstacles d’ordre géographique étaient nombreux. Mais, au-delà des obstacles naturelles, il y a eu une volonté tenace des commerçants Kongo et Teke, d’empêcher l’accès au Pool aux européens, qu’ils soient commer- çants ou missionnaires. Cela ressort clairement d’un texte de François Bontinck, commentant les périples de quelques missionnaires italiens au dix-septième siècle, tentant de s’introduire dans le Royaume du Makoko, à partir du Royaume Kongo.
Au 17e siècle, les missionnaires italiens, Pères Geronimo de Montesarchio, Marcelino d’Atri et Luca da Caltanisetta s’y séjournent quelques temps en 1655 et 1698. A ce temps-là, le Pool Malebo est un centre commercial très animé sous la responsabilité du Roi Makoko qui règne sur les deux rives du fleuve.
Ce sont ces trois missionnaires capucins italiens qui auraient les premiers visité la région du Pool, découvrent des villages importants tels que Lemba, Kitambo, Binza, Nkulu, etc. Ceux-ci sont émerveillés par la beauté du site, qu’ils décrivent comme une large plaine étendue au bord du fleuve, qui ressemble à cet endroit à une petite mer, le Pool Malebo, et entourée de montagnes… Elle est peuplée de nombreux et importants villages, bordés de baobabs et de palmiers Malebo qui recouvraient la région.
Henry Morton Stanley atteint pour la première fois le site de la ville au niveau de Ntambo le 12/03/1881 lors de sa traversée d’Est à l’Ouest du continent africain35. Cette incursion dommageable au royaume Teke intervient au cours de la décennie 1881-1891. Elle fut suivie de la fondation des postes de Léopoldville et de Kinshasa, et des relations consécutives entre les chefs teke et les fonctionnaires de l’Etat Indépendant du Congo (EIC), qui ne se déroulèrent pas selon les convenances.
2.6. Odyssée de Stanley
La fondation de Stanley Pool est intimement liée à Stanley, c’est pourquoi il est important de dire un mot sur ce personnage. De son vrai nom John Rowland, sir Henry Morton Stanley est né le 10 juin 1841 à Denbigh au pays de Galles et est mort le 10 mai 1906 à Londres. Gordon Bennett le charge d’une mission importante : la recherche en Afrique Orientale du Docteur David Livingstone, dont on était sans nouvelles depuis 1866. Parti de Zanzibar le 21 mars 1871 ; il retrouve le vieux missionnaire écossais à Udjidji, Tanganyika, au début de novembre de la même année. Ensemble, les deux voyageurs reconnaissent pendant quatre mois les rives septentrionales du lac Tanganyika.
Au cours de cette expédition, il traverse l’Afrique d’Est en Ouest, depuis Bamoyo, près du Zanzibar, jusqu’à l’embouchure du Congo. Il apporte ainsi leur solution à quelques-uns des secrets les plus importants de l’hydrographie africaine : reconnaissance des Lacs Victoria et Albert comme étant source du Nil ; ainsi que leur descente du Fleuve Congo dont il fixe le cours. Il résout du coup le fameux problème du double mystère du Congo et du Lualaba.
C’est au cours de ce transafricain que Stanley atteint le Pool pour la première fois. En effet, le 12 mars 1877, il constate qu’à partir de Kimpoko, le Fleuve Congo s’élargit par degrés jusqu’ à former une nappe qu’il qualifie d’Etang, Pool. Il est fasciné par le paysage, les îles sableuses et les rochers blancs, couronnés de longues herbes qui lui rappellent les falaises de Douvres et les dunes de Kent en Angleterre. En accord avec son compagnon de route Frank Pocolknil, ils baptisent la nappe aquatique de « Satnley Pool » c’est-à-dire « étang de Stanley » et les collines « Dover » (lifts).
La rive gauche du Pool est bordée des villages suivants : Kinshasa (Insasa ou Nshasa), Mokonga (Nkunga) et Kintambo (Ntambo). Le 13 mars 1877, il est cordialement reçu par le chef indigène de la rive droite Ngamankono. Le 1er et 15 mars, il s’entretient avec Itsi qu’il retrouvera en 1881 sous le nouveau nom de Ngaliema. Lors de la dernière entrevue, Itsi se fait accompagner du Tshubula (Ngobina), chef de Kinshasa.
C’est le 5 mars que Stanley commence à faire la descente des chutes après avoir procédé à un échange de sang avec le chef Ngaliema, symbole d’amitié et de fraternité.
Péniblement, Stanley, affamé, parvient le 9 Août 1877 à Boma muni d’un important trésor constitué d’ivoires d’une valeur de dixhuit mille dollars, Ivoire raflé dans les villages et une précieuse documentation sur les contrées intérieures.
Devant l’indifférence de ses compatriotes anglais, Stanley répond à l’Invitation de Léopold II, roi des Belges qui eut la vision de l’avenir ou le coup d’œil du génie. Le roi décide de faire jouer à l’Association internationale Africaine (A.I.A.) un rôle politique dont la Belgique aurait le bénéfice36. C’est ainsi qu’entre 1879 et 1884, à la tête d’une forte expédition, il pose les bases du futur Congo-belge.
2.7.1. Création du poste de Léopoldville
– Appropriation d’espace : Stanley installe avec l’appui bienveillant des autochtones son poste sur les flancs de la colline Konzo Ikulu. A l’origine, la station s’appelait « Stanley Pool Station » qui deviendra le Mont Léopold (ou Léopoldville le 9 avril 1882) et porte aujourd’hui le nom de Mont Ngaliema, domaine présidentiel de la République Démocratique du Congo. Cette installation a suscité de laborieuses négociations et vives palabres entre les chefs autochtones de la rive méridionale. Ces palabres sont clôturées le 24 décembre 1881 par un accord général qui a même fait l’objet d’une célébration de grandes réjouissances populaires. Les chefs Ngambelengi et Kimpalampala ont autorisé Stanley à occuper ce territoire voisin de Kintambo. C’est Ngambelengi qui a désigné avec précision à Stanley l’endroit qui lui convenait le mieux pour construire une station. Ce choix du site arrange Stanley pour plusieurs raisons. Raisons topographiques et climatiques : peu de marécages, ventilation satisfaisante, altitude de 25 mètres au-dessus du fleuve ; raisons stratégiques : pente douce vers la crique permettant une intervention rapide pour défendre les embarcations contre un éventuel coup de main et la contrée était peuplée de tribus amies ; raisons commerciales enfin : la baie de Kintambo étant déjà un centre d’échange important. Ensuite, une vaste terrasse est aménagée pour l’édification des premières maisons d’habitation et les magasins.
– Exploitation d’espace : En décembre 1881, le steamer amené d’Europe en pièces détachées flotte dans la baie de Kintambo. Au cours de l’année 1883, la terrasse est agrandie, le village construit et un marché s’établit spontanément. Les marchands venus du haut du fleuve congo apportent de l’ivoire. Ils sont payés sous la forme de baguettes de cuivre. Ils dépensent aussitôt pour l’achat de produits manufacturés. Les comptoirs de vente d’ivoire à bon marché et de produits importés se multiplient… Très vite les échanges s’intensifient.
– Communication : A l’aide de machettes, houes et haches, les ouvriers tracent sur l’ordre de Stanley, en ligne droite, un sentier. Une haie est établie le long du sentier avec de petites tours composées d’un entassement de bûches de bois et destinées à dominer les approches. Les ouvriers fauchent l’herbe et déblaient le terrain sur un rayon de 100 mètres autour du campement formant la station de Léopoldville. Ils élargissent le sentier pour le transport des fourgons et le transport des tentes et des marchandises. Les jardins sont plantés et les autres sentiers sont donc tracés progressivement.
– Habitation : La station de Léopoldville s’organise rapidement sous la direction du commandant Valcke. Peu à peu, elle s’installe le long de la baie de Kintambo selon un schéma commun aux villes coloniales et aux villes-relais implantées sur un rivage : installations portuaires et noyau résidentiel en bordure du fleuve ou à flanc de colline, petit centre commercial et, par la suite, début d’une zone industrielle (chantier naval, usine textile) qui s’accompagne d’une cité de travailleurs, cité de Kintambo. Les entrepôts s’emplissent des marchandises. En 1883, il y a eu installation de deux missions protestantes anglaises : la mission Arthington de l’Eglise Baptiste et le Livingstone Inland Congo Mission. La mission catholique est installée en 1889. La chapelle Sims est construite en briques en 1891 par le Dr SIMS Aaron. C’est la toute première chapelle protestante de Léopoldville. Elle existe encore aujourd’hui à Kintambo. Le père Eugène Calon construit en 1902 le bâtiment de Mission St-Léopold à l’actuel Grand Séminaire Jean XXIII. Cette première Eglise Catholique des pères de Scheut est érigée en briques cuites avec un toit de chaume.
Dans le même temps un poste européen est installé à Kinshasa. La construction du chemin de fer entre Matadi et les installations portuaires du pool (dans la période allant de 1890 à 1911) a été à la base du développement de Léopoldville. A partir de 1897 la ville se transforme. L’espace compris entre le plateau et la rive du Pool est progressivement conquis par des maisons préfabriquées, dites danoises, de constructions en dur servant de bureaux et d’habitations pour les fonctionnaires et agents. Ces bâtiments démontables, en tôles ondulées étaient venus de Belgique. Nombreux étaient en bois, des chalets.
Les autorités coloniales s’étaient efforcées de tirer le meilleur parti possible des matériaux locaux de construction. Les toutes premières habitations construites sur place étaient édifiées à la mode indigène, de bois et de paille, ou faites de pisé. Les constructions en pisé constituaient un progrès considérable sur les informes habitations précaires de l’époque. Cependant, elles étaient peu durables. Les toits de ces maisons, d’herbes ou de nervures de feuilles de palmier tressées, de planches, voire d’écorces d’arbres, étaient exposés aux attaques des insectes et du climat. Les incendies étaient à craindre pour une maison sous un toit de chaume. Les insectes, les serpents, les rats, … fréquentaient régulièrement ces maisons. Sans oublier tous les dégâts quelquefois considérables que causaient les pluies saisonnières.
Pour éviter ces inconvénients, les officiels belges ont songé à produire des maisons en briques. Ils se sont improvisés à la fois architectes, entrepreneurs, menuisiers, charpentiers, maîtres plafonneurs. Ils ont été secondés par des missionnaires de leur nationalité dans l’ouvrage et formé des noirs à devenir bâtisseurs de ville.
Gestion d’espace : L’Etat Indépendant du Congo trouve un modus vivendi avec les chefs de terres ou chefs coutumiers avant de destiner une portion de terre au lotissement. Il acquiert des terres sur base d’un compromis avec les chefs coutumiers. Et puis, il les assainit avant de procéder à leur distribution. La colonie et les entreprises en acquièrent afin de produire des logements tels que les baraques en planches, les bureaux, les maisons danoises,…
2.7.2. La création de poste de Kinshasa
Le poste de Kinshasa fut fondé en 1883 par Stanley près du village de Kinshasa. Stanley signa un accord avec le chef du village Ntsuvila afin d’y ériger le poste. Cette ancienne colonie riveraine teke occupe le bord du fleuve Congo. Léopoldville et Kinshasa étaient séparées par une vaste plaine, la plaine de Kalina (une grande partie de l’actuelle commune de la Gombe). Plus tard ces deux villes vont devenir une seule en s’agglomérant progressivement. Entre 1883 et 1910, le poste de Kinshasa ne formait qu’une bourgade assoupie au bord du fleuve, enfouie sous l’ombrage de baobabs centenaires et de borassus à gros fruits rouges qui lui voudront le surnom de « Kin-Malebo ». Une simple piste en mauvais état le reliait à Léopoldville. Une factorerie hollandaise, la NAHV (Nieuw Afrikaanse handels Vennootschap) s’y était établie vers 1886. Elle était suivie d’autres factoreries portugaises, des maisons construites en bois et en tôles ondulées, de maisons danoises pour les habitants européens, un camp des travailleurs africains, une mission protestante, une usine de café, des bâtiments pour la douane, pour la poste, pour la gare, … Pour relier Kinshasa à Léopoldville un chemin de fer fut construit suivant le tracé du fleuve à une distance de 500 mètres.
Quant au système de production d’espace, il suit pratiquement le même modèle que celui de Léopoldville.
Kinshasa, pour le ramasser en une formule, fut fondé en 1881 par Henry Morton Stanley. Au départ, pour reprendre Marc Pain38, il ne s’agira que d’un petit poste commercial établi à l’actuel site de Mont Ngaliema. Mais très vite, le petit poste va se tailler de l’importance aussi bien sur le plan économique que politique. Appelé Léopoldville, Chef-lieu du District du Stanley Pool créé le 1er août 1888, en 1923, il est consacré Capitale du Congo Belge. Aujourd’hui, après plus d’un siècle passé (134 ans), le poste de Stanley, petite bourgade coloniale, a donné naissance à une ville qui s’impose parmi les plus grandes villes d’Afrique noire.
2.8. Kinshasa, Capitale de la RD Congo
Léopoldville ne deviendra la capitale du Congo-belge qu’en 1923. En effet, l’évolution politico-administrative, tenant compte de la position stratégique et économique de Léopoldville, inspire l’Arrêté-royal du 1er juillet 1923 contresigné par le Ministre des colonies, Louis Franc, qui transféra la capitale du Congo-Belge de Boma à Léopoldville. Mais si le décret royal du 1er juillet 1923 a fait de Léopoldville la Capitale du Congo-belge, il a fallu attendre six ans pour voir cet arrêté entrer en vigueur. C’est, en effet, le 31 octobre 1929 que la décision du transfert de la capitale de la colonie devient effective. La résidence du gouverneur général est dès lors à Léopoldville, plus précisément à Kalina.
Les raisons du transfert de la Capitale, de Boma à Léopoldville, tiennent au fait que Léopoldville constitue :
– l’aboutissement du chemin de fer Matadi-Kinshasa et le point de départ du plus long bief navigable ; – un centre administratif possédant quelques bureaux ; districts, douanes, justice, etc. ; mais ce n’est que plus tard que la fonction administrative va revêtir une réelle importance, étant donné qu’au début, ce rôle ne consiste qu’à assurer la liaison entre la métropole et les territoires d’outre-mer ;
– les espaces formant l’hinterland naturel de Léopoldville sont neufs, à cheval sur l’Equateur, ne comportant pas de désert et dont la mise en valeur est assurée d’un avenir certain.
Quand au transfert effectif des services, il se fera graduellement compte tenu des disponibilités en logements et en bâtiments administratifs. C’est l’important service de l’état-major des troupes coloniales qui ouvre la série, dès le mois de janvier. En juillet, s’opère le transfert des services de l’agriculture et de l’enseignement, suivi à de courts intervalles, de celui du service médical au mois d’août, service de l’ingé- nieur en chef au mois de septembre, Direction générale des finances en septembre et enfin le cabinet du gouverneur général en novembre. L’installation de tous les services du gouverneur général à Kalina sera chose accomplie au premier semestre 1930.
Chapitre troisième
PEUPLEMENT ET DONNEES DEMOGRAPHIQUES
3.1. Populations autochtones
L’agglomération précoloniale de Mpumbu comptait, tout au long du processus de peuplement de ce qui allait devenir la ville de Kinshasa, trois peuples autochtones : les Humbu, les Teke et les Bamfununga considérés comme propriétaires terriens.
3.1.1. Les Humbu
L’histoire nous renseigne que ce sont les Humbu qui, incontestablement, sont les véritables propriétaires traditionnels des terres de Kinshasa qu’ils occupent depuis plusieurs siècles.40Les principales agglomérations de Mpumbu appartiennent aux Humbu. D’après Bontinck, Mbanza Lemba, village humbu, constitue de tous les villages de Kinshasa l’agglomération la plus importante. Lemba est la résidence du chef Bahumbu des collines, propriétaires originaux des rives et terres au sud du Pool. Il est aussi un grand centre commercial où se rencontrent les traficants du haut et du bas fleuve. Le chef de Mbanza Lemba est Makoko (Mukôo ou Mukoko). Il jouit d’une grande réputation de juge suprême des litiges entre les chefs des villages. C’est lui qui a arbitré la grande palabre du 24 décembre 1881 qui a opposé les chefs de Bahumbu à Ngaliema accusé d’avoir cédé indûment un terrain humbu à Stanley. Le peuple Humbu occupait l’Ouest et le Sud de l’actuelle ville de Kinshasa jusqu’à la rivière N’djili et faisait frontière avec le Kongo central. Il a connu les grands chefs tels que Makoko, Ngafani ou Ngampani et Kimpe I et Kimpe II. Les Humbu constituent un peuple pacifique et, comme leurs voisins Kongo, ils sont matrilinéaires.
3.1.2. Les Teke
Selon l’ethnologue belge J. Vansina, le terme teke est une appellation génétique donnée par les étrangers à toutes les populations vivant sur les plateaux situées au Nord de Pool Malebo, sur les deux rives du Congo, jusqu’à l’embouchure du Nkemi41. Leur véritable nom serait, selon le même auteur, « Tyo ». Le terme Teke, signifiant « vendre » en langue Kikongo, ferait ainsi référence à l’activité économique principale des Tio qui faisait le commerce et par conséquent, à la manière dont ils étaient perçus par leurs voisins : comme des Batéké, c’est-à- dire des commerçants.
Le peuple Teke qui, traditionnellement, n’est pas originaire de Kinshasa, habite aujourd’hui trois différents pays, à savoir : la Ré- publique Démocratique du Congo, la République du Congo et le Gabon. Après avoir campé sur l’île Mbamu où ils pratiquaient la pêche et la chasse, les Teke finiront par immigrer sur la terre ferme suite au harcèlement constamment orchestré par les populations riveraines notamment, les Baboma, les Banunu bobangi et les Bayanzi.
Ngaliema est réputé comme étant leur chef légendaire44. De nombreux Teke durent quitter Ntomo et Nshasa pour Brazzaville en 1891. Leur grand chef Ngaliema les suivra en 1892.
3.1.3. Les Bamfununga
Peuple très peu connu, les Bamfununga sont parmi les plus anciens originaires de Mpumbu, espace qu’ils partagent depuis des lustres avec les Humbu. Très minoritaires, leurs terres sont quasiment occupées par les Teke plus nombreux, entreprenants et puissants. Les bamfununga se retrouveront plus tard coincés entre les deux grands voisins que sont les Bahumbu et les Bateke. Sur le plan morphologique, les Bamfununga portent des traits de tatouage au visage.
3.2. Les autres ethnies
À côté des populations Humbu, Teke et Bamfununga considérés comme autochtones de Kinshasa, les autres peuples qui ont côtoyé ces derniers sont inévitablement les Yaka, les Banunu Bobangi venus du Kongo central ainsi que les Bayanzi, population flottante, qui commerçait naturellement avec Kinshasa grâce au fleuve. Lorsque Henry Morton Stanley atteint le Pool, Mpumbu est habité par ces peuples qui constituent l’essentiel de la population.
Par la suite, le rayonnement de Mpumbu finira par drainer vers elle d’autres populations congolaises et africaines dont les Lari du Congo-Brazzaville et les Zombo d’Angola, souvent, pour des raisons de commerce. Cette immigration les amena sur les terres humbu où ils implanteront de petits villages tels que : Mikwa, Ngabwa, Ndolo et Mfumo dont certains deviendront de grandes agglomérations. Dans les terres humbu, les Teke qui ne sont pas très mercantiles ni belliqueux, seront accueillis puisque les Humbu redoutaient le harcè- lement des populations riveraines. Et quand Ngalima cède la terre à Stanley sans consulter les maîtres de terre (Humbu), un litige est vite né. Ceci prouve que les Teke ne sont pas les propriétaires terriens au même titre que les Humbu et les Bamfunuga. Mais c’est avec la création de Stanley Pool et plus tard Léopoldville, que de façon spectaculaire, les Congolais de tout bord, les Coast men (ouest Africains), les Européens et Asiatiques afflueront à Kinshasa pour divers travaux qu’exigeait sa construction.
3.3. Migrations récentes
3.3.1. Les migrations de l’arrière pays vers Kinshasa
Les migrations pour Kinshasa sont d’abord celles des Congolais de toutes les provinces qui y affluent compte tenu de son rôle dominant à l’échelle nationale, aussi bien sur le plan politique, administratif, économique que socio-culturel. A ce propos, Jean Omasombo note que des migrations massives sont observées de l’arrière-pays vers la Ville de Kinshasa au cours de la période de la colonisation, par deux principaux axes :
- l’axe fluvial pour les populations du Nord et aussi pour celles du Centre du Congo ; - l’axe routier passant par le Bandundu et le Bas-Congo. Cet exode s’est poursuivi et même intensifié après l’accession du pays à l’indépendance. En outre, il s’observe, de manière particulière, des mouvements massifs des populations vers Kinshasa au cours de la période de transition politique des années 1990, ainsi que pendant les années de guerres à l’Est du pays.
Mais, en plus des populations congolaises, Kinshasa a aussi connu des migrations importantes d’autres populations africaines dont les Coastmen, les Lari, les Angolais, les populations européennes et asiatiques.
3.3.2. Les Coastmen
Le qualificatif Coastmen fait allusion aux ressortissants de la côte ouest de l’Afrique appelée de nos jours « Ouest-Africains » ou « Ndingari » ; ils sont généralement originaires du Nigeria, Ghana, Mali, Bénin, Guinée, Sénégal, Togo. On les trouve surtout dans les travaux publics, l’enseignement, le commerce sans oublier les autres corps de métiers. Ce sont les Coastmen, presque tous musulmans, qui contribuèrent à la propagation de la polygamie et au port des pagnes wax.
3.3.3. Les Lari
Population paysanne, les Lari sont originaires de la République du Congo-Brazzaville. C’est ainsi qu’ils occuperont la grande partie de bonnes terres restées vacantes. Ils y entretenaient des jardins potagers et sont les premiers à introduire les différents légumes tels que le chou, la carotte, la tomate, le concombre49. Vivant en harmonie avec les autochtones, les Lari étaient très à l’aise avec eux ; ils appréciaient et admiraient les grandes constructions de Léopoldville au point que Mundala, un griot brazzavillois bien connu, explosera dans un champ lyrique « Poto-Poto mboka monene, solo Kinshasa poto moyindo… » (Si Brazzaville est une grande ville, Kinshasa c’est l’ « Europe noire »).
3.3.4. Les Angolais
Les Angolais, mieux connus sous le nom de Bazombo, sont originaires du district de Manguela Dozombo dans la province de Uige, à la frontière Sud-Ouest de la République Démocratique du Congo. Ils constituent la communauté étrangère africaine, de loin, la plus nombreuse où se recrutera la main-d’œuvre abondante et bon marché. Ils étaient recrutés particulièrement dans les services d’exploitation du port public de la CITAS (Compagnie industrielle et de transport au Stanley-Pool) vers les années 1955, pour la manutention des produits coloniaux d’exploitation (palmistes, noix et huile de palme, copal, arachides, coton, sisal, pointes d’ivoire). Les Zombo remplissaient admirablement toutes les conditions physiques et morales qu’exigeaient des travaux durs et épuisants. Ce qui faisait bien l’affaire du colon.
Dans les ruelles de la cité indigène, ce sont les Zombo qui instaureront le porte-à-porte dans le circuit commercial, offrant qui, du riz, les beignets ou les haricots. Plus tard, ce commerce ambulant se pratiquera au moyen de pousse-pousse, véritable bazars mobiles qu’ils tiraient ou poussaient, tout en vantant, par des cris, comme dans une vente aux enchères, la qualité de la marchandise qu’ils présentaient.
Pendant la 2ème guerre mondiale, leur nombre augmentera sensiblement, attirés par le boom économique du Congo-belge et fuyant la nouvelle forme de colonisation installée par Salazar. En effet, les Masolayi (52) de la P.I.D.E. (police portugaise toute puissante) en étaient arrivés même à cadenasser, au vrai sens du terme, la bouche des angolais qui refusaient de se plier aux injonctions de l’autorité coloniale pour les jeter ensuite, enchaînés, dans les prisons d’où ils ne sortaient jamais vivants. Fuyant répression cruelle, les Zombo n’eurent pas de peine à franchir, en masse, la frontière. Ce fut le premier véritable exode des angolais vers le Bas-Congo et Léopoldville. Manœuvrant secrètement, les autorités portugaises tenteront d’obtenir de la colonie belge l’endiguement de ce qu’elles considéraient comme un fléau. Mais celle-ci ne pouvait rien devant la fluidité des frontières et les liens séculaires qui les unissaient avec les Bakongo, tous issus du « Royaume Kongo ».
Les années post 2ème guerre mondiale seront décisives pour l’intégration des Zombo au sein de la population de Kinshasa. Contrairement aux Coast men, ils n’avaient pas l’habitude de rapatrier leurs enfants, de sorte que la jeunesse angolaise évoluera dans le même cadre socio-culturel que les jeunes de Léopoldville. Il n’y aura pratiquement pas de différence entre eux, ni de répugnance des uns vis-à-vis des autres. Pas de manifestations tribales non plus ; devenus majeurs, certains jeunes angolais s’enrôleront comme Congolais dans la Force publique. Pendant ce temps, les parents angolais cultiveront d’autres qualités au fil des années ; ils se révéleront économes, modestes dans leur comportement, sobres dans le manger et le boire. Petit à petit, ils quitteront les emplois où leur effort physique était grandement mis à contribution, pour s’installer à leur propre compte, comme commer- çant ou artisans ; ce sont eux qui chausseront les femmes congolaises de Léopoldville avec des sandales fabriquées de leurs mains et dont les semelles étaient taillées dans de morceaux de pneus usagés. La contribution des Angolais au mode de vie local aura été des plus marquantes.
3.3.5. Les populations européennes et asiatiques
Dès les premières années de l’aventure coloniale belge au Congo, Stanley avait déclaré que sans le chemin de fer, le Congo ne vaut pas un penny. Raison pour laquelle la construction du chemin de fer Léopoldville-Matadi, nécessitera une main-d’œuvre importante. C’est dans ce cadre qu’on peut circonscrire la présence des populations européennes et asiatiques dont les chinois.
3.4. Données démographiques
Kinshasa est une très grande ville qui attire les hommes. Sa population actuelle se chiffre à près de 12 millions. Elle se classe parmi les grandes métropoles du monde comme Tokyo (26 millions d’habitants), Paris (12.341.418 habitants), Abidjan (10.783.906 habitants), Washington (9.548.579 habitants), etc.
En terme de superficie, Kinshasa s’étend sur près de 9.965 km² et dispose aussi d’un grand espace vital pour un développement harmonieux.
À en croire Lelo Nzuzi et Tshimanga M54 en 1910, Kinshasa n’était qu’une petite bourgade de 10.000 habitants. La population a augmenté et doublé en cinq ans, avec en moyenne une augmentation annuelle de 4.700 habitants. Ce qui fait qu’en 1930, Kinshasa comptait 39.530 habitants.
A partir de 1935, le taux de croissance annuelle est de 1,1% et s’accélère entre 1940-1945 pour atteindre 1,5% par an à cause de la reprise des activités économiques qui nécessitaient une abondante main-d’œuvre pour soutenir « l’effort de guerre » qui marque cette période. Disons que durant la 2ème Guerre Mondiale, la population Kinoise a doublé. Cette tendance à la forte croissance démographique s’est poursuivie jusqu’en 1955.
De 1955 à 1960, la croissance démographique rapide de 1940- 1955 se ralentit à cause de refoulement des chômeurs et de sans emploi à Kinshasa.
La croissance démographique et l’exode rural ont repris de la plus belle manière après l’indépendance, c’est-à-dire de 1960 à 1970. Kinshasa est aux prises avec l’exode rural dû au laxisme de l’administration et à la rébellion.
Cette dynamique démographique était déterminée par les enjeux politiques après l’indépendance, suite à la création des multiples partis politiques à tendance tribale, elle pousse les leaders politiques à arrêter l’exode rural pour gonfler leur électorat Kinois.
Les multiples tentatives de renvoi des désœuvrés Kinois vers leurs villages d’origines par l’administration de la Première République n’ont pas réussi à favoriser les flux démographiques vers Kinshasa entre 1970 et 1980. L’étude de Beau55 révèle que la population urbaine dans la population totale de la R.D.Congo est passée de 28,8% en 1970 à 32% en 1984, Kinshasa affirme sa primauté en matière de croissance démographique.
La paupérisation de la campagne à cause de la crise économique mondiale et la politique de la zaïrianisation ont engendré des vastes déplacements des ruraux vers les villes secondaires d’abord, puis vers Kinshasa en définitive.
Entre 1980-1990, la dégradation des conditions de vie en milieu rural, le manque d’entretien des routes de desserte agricole, le départ massif des entrepreneurs étrangers (conséquence de la politique de Zaïrianisation ) et le programme d’ajustement structurel imposé par le FMI et le Club de Paris ont aggravé la crise. Les ruraux confrontés à cette crise migrent vers Kinshasa avec l’espoir de trouver un emploi rémunérateur et de mieux vivre qu’en milieu rural. De 1990 à 1995, le taux de croissance démographique est de 5,2% à Kinshasa. Cette ville constitue un symbole de liberté et d’accession au mode de vie occidental.
En effet, les scènes de pillage de 1991-1992 à Kinshasa et dans certaines villes de provinces parachèvent le délabrement du tissu économique national déjà précaire depuis les années 1980. Et Kinshasa perd du coup 100.000 emplois, selon le rapport de l’Agence Nationale des Entreprises du Zaïre (ANEZA), actuellement Fédération des Entreprises du Congo en sigle FEC.
En effet, Kinshasa vit une explosion démographique. L’accroissement naturel, l’exode rural et l’incorporation dans la ville des secteurs et chefferies périphériques sont à la base de cette explosion démographique dont le taux de croissance démographique est estimé à environ 6% et avec un nombre moyen de 6,7 personnes par ménage et la ville compte 6 millions d’habitants en 2.000.
A. Muzito note pour sa part que la superficie de Kinshasa est de 10.000 Km² et sa densité est de 1.200 habitants au km². La répartition spatiale de sa population est déséquilibrée. Le premier espace qui comprend les 22 communes sur les 24 est peuplé par près de 96% de la population totale de la ville. Cet espace n’occupe cependant que les 11% de la superficie de la ville soit 1.100 km² sur les 10.000 km² dont celle-ci dispose. Le second espace constitué de 2 communes, N’sele et Maluku est sous-peuplé avec 7,35% de la population totale de Kinshasa, soit 882.122 habitants. Il couvre cependant 78,74% de la superficie totale de la ville.
Le tableau ci-dessous donne quelques indications sur l’évolution de la population Kinoise entre 1884 et 2015
La population Kinoise est spatialement répartie de la manière dé- séquilibrée à travers les 24 communes. Il y a un écart considérable entre les populations des différentes communes de Kinshasa. deux communes viennent en tête avec 2 millions d’habitants et celle qui est sous peuplées a moins de 100.000 habitants.
Le tableau ci-dessous illustre .la répartition déséquilibrée de la population, de la superficie et de la densité de la ville de Kinshasa en 2015.
Le tableau ci-haut révèle que la commune de Kimbanseke (2.631.205 habitants) est la plus peuplée de la ville de Kinshasa, alors que celle de la Gombe est la moins peuplée soit 89.080 habitants. Avec un taux de croissance démographique de 5,5% actuelle, il n’est pas exagéré de dire qu’à l’horizon 2025, la ville de Kinshasa aura 20 millions d’habitants dont près de 4 millions représentera la population active additionnelle. Cette tendance à l’explosion urbaine constitue un désastre social. Il y a donc nécessité de mettre en œuvre un plan de modernisation et d’extension de la ville de Kinshasa vers l’Est pour étaler la population Kinoise actuelle. La concentration de la population urbaine de la ville de Kinshasa constitue une caractéristique de son urbanisation accélérée.
Il importe d'observer que quelques communes à faible superficie (Bumbu, Matete, Ngaba, Ngiri-Ngiri, Kinshasa, Kintambo,...) concentrent beaucoup d'habitants avec une densité très élevée. Cela traduit le besoin en logement qui mène à la désorganisation de l'urbanisation.
Chapitre quatrième
ORGANISATION POLITICO-ADMINISTRATIVE, DONNEES SOCIO-ECONOMIQUES ET CULTURELLES
4.1. Organisation politico-administrative
La ville de Kinshasa est dotée d’un statut spécial depuis sa création le 1er août 1881, alors Station de Léopold II, et qui devint le Cheflieu du District du Stanley-Pool, Haute N’sele et Panzi-Kasaï.
L’Arrêté Royal du 11 avril 1914 qui mettait en exécution la réforme administrative introduit dans l’organisation territoriale du Congo Belge par la loi du 11 mars 1911 modifiant l’article 22 de la Charte Coloniale, fait de Kinshasa à la fois Capitale de la Colonie et Chef-Lieu des Districts du Bas-Congo, du Kwango, du Kasaï, du Sankuru et du District urbain de Léopoldville.
En 1941, l’ordonnance législative n°293/AIMO du 25 juin 1941 accorde à Kinshasa, le statut d’une ville et la dote d’un Comité Urbain. À l’aube de l’indépendance, la Charte coloniale est remplacée par la Loi fondamentale du 19 mai 1960. Ce dernier fait de la capitale Kinshasa, une ville neutre, siège des institutions politiques.
Huit années plus tard, l’ordonnance n°68/024 du 20 janvier 1968 dote la ville de Kinshasa d’un statut politico-administratif à l’instar des autres provinces de la République Démocratique du Congo, le nombre de ces communes passent de 11 à 24. En vertu des dispositions pertinentes de la Constitution du 18 févier 2006, traité fondateur de la Troisième République, la ville de Kinshasa, capitale de la RD.Congo ; a le statut d’une province.
4.2. De l’administration de la ville
L’article 2 de la loi n°08/012 du 31 juillet 2008 définit la province comme une composante politique et administrative du territoire de la République. Elle est dotée de la personnalité juridique. Elle jouit de l’autonomie de gestion de ses ressources humaines, économiques, financières et techniques. Elle exerce, par ses institutions politiques (Assemblée Provinciale et Gouvernement provincial), les compétences qui lui sont dévolues par la Constitution. Elle coopère avec les autres provinces et le pouvoir central dans le cadre du fonctionnement régulier des institutions.
4.2.1. De l’Assemblée Provinciale
L’article 7, de la loi n° 08/012 du 31 juillet 2008, stipule qu’elle est l’organe délibérant, ses principales missions sont : de légiférer (par voie d’édit), d’élire le gouverneur et son adjoint et de contrôler le gouvernement provincial.
Les membres de l’Assemblée provinciale, députés provinciaux de la ville de Kinshasa sont élus au suffrage universel direct. Son bureau est constitué d’un Président, d’un Vice-Président, d’un Questeur, d’un rapporteur et d’un rapporteur Adjoint. L’Assemblée provinciale de Kinshasa est composée de 48 élus, dont la majorité est issue du parti politique Mouvement de Libération du Congo en sigle MLC.
Les attributions de l’Assemblée provinciale de Kinshasa sont celles reprises dans les articles 11, 12 et 13 de la loi organique n°08 /016 du 07 octobre 2008 portant composition organisation et fonctionnement des entités territoriales décentralisées et leurs rapports avec l’Etat et les provinces.
4.2.2. Du gouvernement provincial
Il est composé d’un gouverneur, d’un Vice-gouverneur et des ministres provinciaux. Le Gouvernement provincial de Kinshasa, comme ceux d’autres provinces, tire son fondement juridique de la loi n°08/012 du 07 octobre 2008 portant principes fondamentaux relatifs à la libre administration.
Le fonctionnement du gouvernement provincial est régi par les dispositions de l’Arrêté n°SC/0121/BGV/ 2007 du 30 juillet 2007 du Gouverneur de la ville de Kinshasa, fixant les attributions des ministres provinciaux de Kinshasa.
4.2.3. Des divisions administratives et services publics provinciaux
1° Divisions et inspections provinciales
Le Directeur de province, collaborateur administratif direct du gouverneur coordonne les activités de cinquante divisions administratives et inspections provinciales, lesquelles constituent les relais du ministre du gouvernement central. Elles sont chargées d’exécuter les décisions et orientations des gouvernements de la République.
2° Services Publics Provinciaux
Le gouvernement provincial de Kinshasa a créé depuis 2008 quelques services publics techniques communément appelés « les ré- gies urbaines. Il s’agit de :
• La Régie Immobilière de Kinshasa en sigle « RIMMOKIN » créé par l’arrêté n° SC/0171/BGV/COJU/TN.T/PLS/2008 ;
• La Régie d’Assainissement et des Travaux Publique de Kinshasa, en sigle RATPK, créé par l’arrêté n° SC/0178/BGV/MIN/PRO/ COJU/PLS/2008 ;
• La Régie de Transport Urbain de Kinshasa en sigle RETRANSKIN créé par l’arrêté n° SC/0175/BGV/COJU/TN.T/PLS/2008 ; • La Direction Générale de Recettes de Kinshasa ; en sigle DGRK créé par l’Edit n° 001 DU 29 Janvier 2008 ;
• La Commission Permanente sur la Publicité extérieure dans la ville de Kinshasa, créé par l’arrête n°SC/ 0148/BGV/BIRCAB/ PLS/2008 ;
• L’autorité de Régulation de la Publicité extérieure dans la ville de Kinshasa, créé par l’arrêté n°SC/0163/BGV/DIRCARB/PLS/2008. Il sied de préciser que tous ces services publics nationaux et provinciaux sont placés sous l’autorité du gouverneur de la ville de Kinshasa
Des personnalités ayant dirigé la ville de Kinshasa
Plusieurs personnalités congolaises se sont succédé à la tête de la ville de Kinshasa de 1960 à nos jours :
a) Pendant la Première République
– 1960 : J. KULUMBA
– 1960-1963 : D.KANZA
– 1963-1965 : ZOAO BONIFACE
b) Pendant la Deuxième République
– 1966-1968 : A.BANGALA
– 1968-1970 : GEYEROTE
– 1970-7974 : J.F MANZIKALA
– 1974-1976 : SAKOMBI EKOPE
– 1976-1978 : NDJOKU EYOBABA
– 1978-1780 : MABOLIA I.T.B
– 1980-1981 : KISOMBE KIAKU M.
– 1981-1983 : KABAYIDI WA KABAYIDI
– 1984-1986 : TSHIMBOMBO MUKUNA
– 1986-1987 : NZUZI WA MBOMBO
– 1987-1989 : KHONDE VILAKIKANDA
– 1989-1990 : AMELA LOKIMA .B.
– 1989-1990 : MOLEKA NZULAMA
c) Pendant la transition
– 1991-1992 : FUNDU KOTA
– 1992- : KIBABU MADIATA NZAU
– 1992-1996 : MUNGUL DIAKA
– 1996- : MUJING SWANA
– 1996-1997 : NKOY MAFUTA
– 1997- : AMELA LOKIMA BAHATI
d) Sous l’avènement de l’AFDL
– 1997-2001 : MBEMBA FUNDU
– 2001-2002 : MUZUNGU C.
– 2002 : NKU IMBEYE
– 2002 : LOKA NE KONGO
– 2003 : KIMBEMBE MAZUNGA
– 2004 : Général LIWANGA
e) Au début de la troisième République
– 2006 à nos jours :
KIMBUTA YANGO A.
3° Des structures administratives des 24 communes de la ville
Au terme de l’art. 46 de la loi organique n° 08/16 du 07 octobre 2008, les communes sont des subdivisions de la ville, elles-mêmes se subdivisant en quartiers.
Les communes en tant qu’entités territoriales décentralisées (ETD) disposent d’une personnalité juridique et comprennent chacune deux organes : Le Conseil Communal et le collège Exécutif Communal.
a) Le Conseil communal
Est l’organe délibérant de la Commune : ses membres appelés Conseillers Communaux sont élus au suffrage universel direct. Ils délibèrent sur toutes des matières d’intérêt communal, qu’il s’agisse de matière à caractère économique, social, culturel ou technique. Ils votent au suffrage indirect le Bourgmestre et son Adjoint. Ils contrôlent et approuvent le programme d’action du collège exécutif communal.
b) Le Collège Exécutif communal
Est l’organe de gestion de la Commune et d’exécution des décisions du Conseil communal. Il est composé du Bourgmestre, de son Adjoint et de deux échevins communaux, désignés par le Bourgmestre en tenant compte des compétences, de crédibilité et de représentativité communautaire. Le collège Exécutif Communal est chargé de l’accomplissement de l’ensemble des tâches d’intérêt communal. Il est dirigé par le Bourgmestre assisté du Bourgmestre-Adjoint.
c) Liste des 24 communes de la Ville de Kinshasa
Les 24 communes de Kinshasa (Bandalungwa, Barumbu, Bumbu, Gombe, Kalamu, Kasa-Vubu, Kimbaseke, Kinshasa, Kintambo, Kisenso, Lemba, Limete, Lingwala, Makala, Maluku, Masina, Matete, Mont-Ngafula, N’djili, Ngaba, Ngaliema, Ngiri-NgiriNsele et Selembao) sont des Entités Territoriales Décentralisées (ETD) dirigées chacune par un Bourgmestre et son adjoint.
L’Atlas de l’organisation administrative de la RD.Congo60 souligne que la commune de Maluku, N’sele, Mont-Ngafula, Kimbasenke et Ngaliema sont les plus étendues de la ville de Kinshasa. La Commune de Maluku, à l’Est de la ville de Kinshasa a une superficie de 7.949 km² et comprend l’ancien secteur de Bateke et l’ancienne Chefferie de Mbakana.
La seconde commune en étendue est celle de N’sele (899 km²) s’étend de l’Aéroport International de N’djili jusqu’à la rivière Dingi-Dingi sur la route de Maluku. La Commune de Mont-Ngafula est la troisième en étendue (359 km²). Elle occupe tout le Sud de la Ville à l’Ouest de la rivière N’djili et y atteint le fleuve Congo sur près de 10 km. Les communes de Kimbanseke, au Sud-Ouest de N’sele et Ngaliema, au Nord-Ouest de Mont-Ngafula sont aussi très étendues (238 et 224 km²).
d) Les services administratifs communaux
L’Administration communale est constituée des services publics propres à la Commune qui sont : le service d’Etat-civil, le service de la population et le service d’hygiène. Tandis que les services techniques représentent les différents Ministères centraux. Ces services techniques sont mis à la disposition des autorités municipales pour leur permettre de mettre en œuvre leurs compétences décentralisées. Il s’agit des services techniques ci-après :
- La planification et l’élaboration des projets urbains au niveau de la Commune sont les suivantes : les Travaux publics et développement rural, l’agriculture, la pêche et l’élevage, la santé, l’éducation, l’environnement et les nouvelles sources d’énergies, les finances et Budget ainsi que les services démographiques et de statistiques.
- les antennes de l’Agence National des renseignements(ANR), de la Direction Général des Migration (DGM) et le Commissariat Communal de la Police National Congolaise sont qualifiés de services spécialisés.
4° De l’administration des quartiers
Les quartiers sont les subdivisions administratives des communes. Les 24 municipalités de la ville de Kinshasa se subdivisent en quartiers. Il y en a au total 310 actuellement. La morphologie de ces quartiers varie selon qu’on est dans une commune planifiée ou semi urbanisée. Quoiqu’il en soit, le nombre de quartiers populaires semi urbanisés est plus important que celui des quartiers résidentiels constitutifs du noyau urbain. La plupart des quartiers populaires semi urbanisés de la ville de Kinshasa sont plus étendus que certaines communes résidentielles planifiées de Kinshasa.
Le quartier en tant que circonscription administrative a une structure administrative simplifiée et comprend :
– le chef du quartier
– le chef du quartier adjoint
– le secrétaire du quartier
– le chargé de la population
– deux ou trois agents recenseurs.
Ces fonctionnaires sont nommés et affectés aux différents quartiers par le gouverneur de la ville de Kinshasa. En effet, la sous administration des quartiers populaires semi-urbanisés à forte concentration de la population est manifeste et pose le problème de prise en charge sécuritaire, accentués par l’absence quasi-totale des infrastructures de voirie urbaine, de santé et de la couverture en eau potable et électricité. Ces infrastructures sont, du reste concentrées dans les quartiers résidentiels à faible densité de la population urbaine.
L’étendue de certaines communes semi-urbanisées de Kinshasa exige un découpage, c’est le cas de la Commune de Kimbanseke très peuplée, trop vaste et qui compte 42 quartiers. Elle peut être dé- membrée en 5 communes d’au moins 47,56 km² chacune et avec une moyenne de 526.241 habitants, Ce qui dépasse de loin les populations actuelles des communes de la Gombe, Lingwala et Kinshasa. 4.2. Données économiques Historiquement, la ville de Kinshasa a connu un essor économique à travers le secteur industriel, à l’époque florissant. Les activités industrielles couvraient alors une diversité de domaines (alimentaire, textile, métallurgique et des chaînes de montage) dont les produits étaient destinés aussi bien à la consommation locale qu’à l’exportation. Ce fut la belle époque où Kinshasa portait ostentoirement son pseudonyme de Kin la belle, Kin-Kiese, autrement dit, Kin la joie parce qu’il y faisait beau vivre.
Pour preuve de ces années fastes qui culminent avec la décennie 70, Kinshasa comptait 25% des salariés du Zaïre et versait à lui seul 50% des salaires du pays. Les enquêtes effectuées entre 1974 et 1977 montrent que 33,7% de la population active de Kinshasa étaient composés de cadres et des travailleurs respectivement de l’ordre de 6,5% et 27,2%. En 1980, on estimait que 412.000 personnes avaient un emploi stable et qu’ils pouvaient supporter une charge de 5 à 6 personnes. Mais, c’est autour des années 90 que l’indice des prix a augmenté sensiblement à Kinshasa à tel enseigne que depuis lors, aucun salaire de fonctionnaires ne pouvait permettre à la majorité des employés de subvenir à ses besoins élémentaires. En 1988, à peine 20% de ceux-ci pouvaient être couverts par le salaire alors qu’en 1990, un salarié ne pouvait tout simplement plus vivre à Kinshasa tout comme à l’inté- rieur du pays. Alors qu’en 1977, les salaires des cadres couvraient 62% de leurs besoins et 51% de ceux des employés.
La décennie 1990, pour ainsi dire, marque une des pires périodes de l’économie de la ville de Kinshasa. Inaugurée par les pillages de 1991, suivies par ceux de 1992, cette décennie commence par les deux mises à sac de la ville qui ont causé à l’économie congolaise, en géné- ral, et Kinoise, en particulier, des préjudices gravissimes. A la suite de ces saccages, 300.000 agents et cadres avaient perdu leurs emplois à travers l’ensemble du pays sans aucune possibilité d’indemnisation62. A en croire l’Agence Nationale des Entrepreneurs du Zaïre (ANEZA) à cette époque, Kinshasa perdit 100.000 emplois63. Mais comme il n’y a jamais de un sans deux, la situation des guerres successives qui a émaillé la décennie 90 n’a servi davantage qu’à paralyser un secteur économique déjà mis en mal par les pillages.
Depuis lors, beaucoup d’industries dans la ville de Kinshasa tournent au ralenti si elles n’ont pas purement et simplement été gommées maintenant que la démographie galope et que les moyens pour résorber le chômage de plus en plus accentué des jeunes diplômés des écoles secondaires techniques et autres institutions d’enseignement supérieur et universitaire se font rares. Une telle destruction du tissu industriel a été tellement désastreuse et vivement ressentie par le Kinois au point que la quasi-totalité d’activités rémunératrices se sont musées vers le secteur informel. Aujourd’hui à Kinshasa, le secteur informel devient le principal pourvoyeur d’emplois. Il fournit plus de 70% de la main d’œuvre totale de la ville.
4.3. Données socio-culturelles
Kinshasa, comme nous renseigne le rapport monographique de MRAC de Tervuren reste non seulement un paradoxe entre une dé- mographie compacte, grouillante, véritable bouillon de culture intense mais aussi une coexistence de plus en plus pacifiée des cultures et des communautés diverses. Ce qui a fait dire à quiconque que cette ville capitale démontre qu’elle est la véritable expression de la passion de vivre par l’effervescence de la musique et des arts populaires (aussi bien dans les nouvelles formes et quêtes messianiques que dans les excès d’une concupiscence toute païenne), comme une manière de résister à la crise qui la frappe de plein fouet. Ce qui justifie autant que faire ce peu le qualificatif laudatif assez répandu de « Kin-Kiesse ». Kinshasa, pour beaucoup, c’est le règne de la « débrouille » et de l’informel avec cependant, la propension de ses habitants vers la culture du paraître, de l’exhibitionnisme, de la « sape » comme pour cacher sa misère, pour conjurer d’avance la crise et la mort. Témoins de cette « dé- brouille » et de ce culte de paraître la « sapologie », les expressions telles que « kobeta libanga » « casser la pierre », « tiya mutu bakata » (offre ta tête en sacrifice afin qu’on la coupe comme pour répondre la vertu selon laquelle « qui ne risque rien n’a rien »), « litanga ebangaka moto, kasi ebale te » « la goutte d’eau a peur du feu, mais n’a pas peur du fleuve ».
Face à cette crise en RD Congo, les Kinois ont inventé de nouvelles formes d’organisation sociale afin de pallier à la faillite de l’Etat. A ce sujet, Marco Giovannoni65 rend compte de la manière on ne peut plus plausible du nombre d’associations émanant de la société civile telle que celles-ci ont explosé au début des années 90. En effet, ces entités en sont venues à occuper une place cruciale dans le concert des multiples stratégies de survie inventées par les Kinois pour pallier un Etat déficient à travers les différents domaines de la vie publique et privée. Aujourd’hui, des milliers de Kinois sont membres soit une association, soit d’une ONG pour multiplier leurs chances de faire face à la diversité de défis liés à la dégradation des conditions sociales.
N’oublions pas toutefois que Kinshasa est surtout la capitale de la musique qui apparait comme sa respiration naturelle. Cette musique est si envahissante qu’elle occupe tous les espaces et tout le temps : dans les bars ouverts 24 heures sur 24, dans les « Eglises de réveil » avec leurs tintamarres assourdissants, dans les manifestations politiques, sportives et familiales, etc.
Chapitre cinquième
QUELQUES TRAITS CARACTERISTIQUES EN RAPPORT AVEC LE TRIPTYQUE
5.1. Urbanisation
Si la fondation du poste de Léopoldville et celui de Kinshasa consacre le début de l’urbanisation de Kinshasa, son processus d’évolution, jusqu’à nos jours, rend compte de deux modèles d’urbanisation : d’abord, le modèle de la ville coloniale avec une urbanisation contrôlée et ségrégationniste, puis le modèle de la ville post-coloniale avec une urbanisation spontanée.
5.1.1. Urbanisation contrôlée et ségrégationniste
Kinshasa (Centre Ville)
Kinshasa, Cité planifiée
Dès la création de Léopoldville en 1881, comme l’écrit Lusamba66, l’aménagement progressif du site européen s’est fait suivant des principes sévères avec la nécessité première de préserver un environnement agréable crée par l’espace et les arbres. La mise en place des équipements d’infrastructure se poursuit jusqu’à 1930. La ville européenne s’organise de part et d’autre du boulevard Albert 1er, aujourd’hui boulevard de 30 juin et s’arrêtait alors peu après la grande-poste.
À l’opposé de la ville européenne, s’érigent des cités indigènes (Léo I et Léo II), des agglomérations de la population noire de Léopoldville. Dans ces cités des autochtones, le mode de peuplement ou la façon d’habiter était déterminé par l’autorité coloniale qui choisissant un terrain sur lequel étaient tracés des carroyages sommaires. Dans ces cités indigènes, il n’y avait pas d’égouts. Chaque parcelle disposait d’une simple latrine formée d’un trou creusé ou foré dans le sol. L’hygiène des anciennes cités africaines est donc sommaire.
Mais avec le besoin d’extension de ces cités anciennes vers la fin des années 1920, la fameuse double séparation spatiale que constituaient initialement le boulevard Albert 1er et la ligne de chemin de fer devenait caduque. Se faisant, la population européenne se sentait menacée par les épidémies du fait que les parties africaine et européenne de la ville venaient de se toucher. Ainsi, les cités indigènes de Léopoldville constituaient, de plus en plus, pour les européens de Léopoldville, une menace sanitaire. De là, s’est fait sentir la nécessité de l’instauration de la zone neutre. Dans les années 1930, une zone neutre d’une profondeur de 250 et 300 mètres fut exécutée, occupée par un magnifique parc portant le nom de « Parc De Bock ». Deux amis des plantes : le Maïeur De Bock et l’agronome RoecK ont été chargés d’embellir ce parc au profit des expatriés. On y a érigé alors le Jardin Zoologique. Cette zone neutre, d’utilité de cordon sanitaire et d’espace d’agrément, accueillait des chômeurs volontaires dans les cultures maraîchères. Au sud de cette zone neutre commençait la Cité Indigène.
Pour offrir à la population de Léopoldville des logements décents, respectant les normes urbanistiques, l’Office des Cités Africaines (O.C.A.) fut chargé par l’autorité coloniale, dans le cadre du plan dé- cennal de 1949, du projet global couvrant le projet d’urbanisme, d’aménagement complet des lotissements en infrastructures et équipements communautaires, de conception et de construction des logements ainsi que la vente et la location des maisons aux Congolais. Plus de 40.000 logements furent ainsi construits avant 1959. Michel Lusamba nous restitue, dans les lignes ci-dessus, le processus de cette urbanisation contrôlée et ségrégationniste dont Léopoldville fut l’objet à cette époque.
En effet, d’après cet auteur, le peuplement du territoire suivait un plan d’aménagement. Il était ordonné par le décret et confié à l’architecte urbaniste G. Ricquier. Comme ce plan tenait compte des réalités et allait dans le sens d’une ville moins ségrégationniste, il devait être remplacé par celui de M. Heymans en 1953. L’application du nouveau plan initié par M. Heymans a continué jusqu’en 1967, c’est-à-dire après l’indépendance de la RDCongo. Il a maintenu la deuxième zone neutre de séparation que G. Ricquier a supprimée et a limité la ville européenne au centre historique de la Gombe et au site collinaire. Ce plan a préservé les intérêts privés et les concessions que les sociétés et les particuliers ont possédé dans la plaine et à l’Est, en direction de Kingabwa. Dans l’entre-temps, l’idée de l’extension-Est fut admise et engagée alors même que la création d’une vaste zone industrielle à Limete était entreprise.
Les cités de Lingwala, de Kinshasa, de Barumbu sont totalement loties ainsi que celle de Kintambo. Quant aux nouvelles « cités », elles sont issues de la politique de l’habitat plus volontariste de l’immédiat après Guerre et de l’expérience acquise à travers les réalisations du Fonds d’Avance. Avant les années 1950, le groupe des anciennes cités se prolonge vers le Sud, par les nouvelles cités de Dendale, aujourd’hui Kasa-Vubu, et de Ngiri-Ngiri. Celles-ci sont bien conçues (trames équipées ou trames assainies) : des lotissements très structurés, une voirie bien revêtue, un habitat avec des maisons jumelées et des immeubles en bande à un seul niveau,…
Un autre habitat auto-construit et strictement contrôlé, car les habitants construisaient, eux-mêmes, leur logement en respectant le plan tracé au sol, la réglementation et selon les moyens et les besoins de chacun.
De 1954 à 1960, poursuit Lusamba, l’O.C.A. a continué à créer des nouveaux lotissements pour y ériger des cités planifiées. Matete, Bandalugwa et Lemba ont été construits par l’Office National du Logement (ONL), alors Office des Cités Africaines (O.C.A.). La construction de la ville satellite de N’djili était déjà effective dès l’année 1955. Cette production de la ville a commencé par un préalable aménagement de terrain : tracé au sol et drainage. Ensuite, sa réalisation a laissé aux propriétaires le soin de la construction. Mais celle-ci était inscrite dans un plan original disposant d’un réseau d’égouts ainsi que d’un circuit macadamisé de pénétration primaire qui étaient assurés.
Pour la première fois, l’habitat à deux niveaux et en immeubles collectifs, notamment, dans les communes de Bandalungwa et de Matete mais aussi en maisons jumelées à un étage, dans la commune de Lemba faisaient leur apparition. Par la suite, la cité de Kalamu avec, au Nord, le camp Kaouka et le quartier du 20 mai, s’étalent au-delà de la rivière Funa alors que plus à l’Est, au-delà de la rivière Yolo, ont été érigés le quartier résidentiel de Limete et la vaste zone industrielle.
5.1.2. Urbanisation spontanée
Kinshasa, cité sans urbanisme
Kinshasa, Bidonville et insalubrité
Pour reprendre Lusamba68, à l’aube du 30 juin 1960, la question de l’extension maîtrisée de l’agglomération de Kinshasa se posait, suite de l’étalement des quartiers, de la forte demande en logement des populations et, enfin, de la distance toujours accrue entre les zones d’emploi du bord du fleuve et les cités indigènes.
La politique d’aménagement de l’espace urbain perd, peu à peu, son autorité suite à la désobéissance civique des chefs coutumiers en signe de protestation contre l’Etat. Le mouvement fut suivi par des groupes tribaux. Depuis cet instant, plusieurs formes d’urbanisation ont vu le jour.
En 1953 déjà, les groupes tribaux ont envahi le territoire urbain pour protester contre l’autorité coloniale. Notamment, les Bakongo qui ont occupé le quartier Kimbanseke, les Bateke, eux, se sont implantés à Mombele à la suite du refus de l’administration de créer un lotissement de 4.000 parcelles. Quant aux Bayaka, ils se sont regroupés à camp Luka, à Bumbu, à Selembao,… Dès ce moment, la régulation autonome coutumière des terres redevenait de plus en plus dominante et à l’ordre du jour. Dans l’entre-temps, le lotissement suivant les normes officielles commençait à perdre de l’ampleur. Autrement dit, chaque nouveau lotissement allait désormais se faire sans tenir compte des avis et considérations urbanistiques et aussi des besoins de demandeurs de terre.
Cette invasion littérale de la plaine due à la désobéissance civique des chefs de terre va jusqu’à la limite des collines en l’espace d’un laps de temps très court. Les cimetières n’ont pas été épargnés. Les nouveaux quartiers de Camp Luka, Bumbu, Makala, Ngaba, Mombele, Kimbangu sont en pleine expansion avec moins de confort urbanistique. Les terrasse de N’djili et de Kimbanseke sont occupées de part et d’autre du Boulevard Lumumba jusqu’à la rivière Mangu. Le village de Kingabwa devient une extension au plan régulier existant, au-delà de la zone industrielle de Limete. Les collines de Djelo-Binza, Selembao et de Kinseno sont envahies.
En effet, même si les premières occupations spontanées des espaces sont signalées par-ci par là dans les années 1950, l’urbanisation spontanée est le modèle dominant de la période post-coloniale. L’indé- pendance qui intervient, en 1960, marque la fin d’une politique d’aménagement du territoire, longtemps soutenue par le pouvoir colonial. L’autorité administrative congolaise s’effondre et assiste impuissant à l’accélération de la croissance spatiale spontanée de la ville. Cette dernière est aux prises avec l’exode rural et les différents mouvements de la guerre civile qui l’oblige d’accueillir de nombreux « réfugiés ».
De 1968 à 1975, selon Lusamba, l’urbanisation se fait sur le site actuel de la commune de Ndjili, une grande partie de Masina et de Kimbanseke. De 1975 à 1987, elle s’étend vers le Sud de Kimbanseke à plus de 8 km du boulevard Lumumba et au Nord de Masina. Cette extension progresse ainsi vers les collines au Sud et les zones maré- cageuses au Nord. Elle se poursuit jusqu’à la commune urbano-rurale de la N’sele et celle de Maluku, à environ 80 km du centre ville. Vers la Commune de Mont-Ngafula, les collines sont envahies. Au Sud de Selembao et de Lemba, les lignes de faîte sont bâties à Badiandingi, Ngafani et au-delà du Campus Universitaire. Dans l’entretemps, le long de la vallée de la rivière N’djili, s’observe une croissance remarquable des villages de Mpasa, Kinkole, Maluku, etc…
Comme on sait le remarquer, l’urbanisation spontanée a été amplifiée, à partir des années 1990, avec la crise sociale provoquée par l’application du Programme d’ajustement structurel imposé à l’Afrique par les institutions de Bretton Woods qui ont paupérisé l’Etat Congolais ainsi que ses populations. De là, nous en arrivons au constat selon lequel l’urbanisation spontanée, pour ainsi dire, reste le véritable enjeu de la création des quartiers populaires de 1960 à nos jours.
5.2. Pauvreté
Kinshasa connaît une incidence de la pauvreté de l’ordre de 41,6%. Cependant, étant donné qu’elle représente 10,7% de la population nationale, elle concentre 6,1% des pauvres congolais. A ce sujet, les enquêtes effectuées permettent de préciser que c’est dans la catégorie des ménages des inactifs, des chômeurs et des retraités (53,2%), les ménages informels non agricoles (47,2%) et les ménages informels agricoles (40,1%) que l’on retrouve le plus des pauvres (47,2%).
Par rapport au sexe du chef de ménage, la pauvreté est plus répandue dans les ménages dirigés par les femmes (45,7%) que pour les mé- nages dirigés par les hommes (40,7%). Cette configuration de la pauvreté selon le sexe du chef de ménage n’est pas surprenante compte tenu de la précarité du statut de la femme sur le marché du travail et de son statut social qui limite son accès aux actifs productifs.
En ce qui concerne la consommation, les dépenses globales par tête et par an sont évaluées à 315$ à Kinshasa. La structure des dé- penses des ménages révèle une prédominance des dépenses alimentaires (48,8%) qui font partie des besoins incompressibles aussi bien pour les non pauvres que pour les pauvres.73 Un autre élément important à signaler, c’est le fait que les ménages pauvres dépensent moins pour les besoins de santé et d’éducation que les ménages non pauvres. Ce qui signifie que les enfants issus des ménages pauvres présentent la probabilité de demeurer dans la pauvreté.
Les causes de la pauvreté sont tributaires, notamment, de la taille élevée du ménage, du chômage nettement élevé, de la précarité des revenus chez les actifs, du sous emploi, des salaires précaires, ainsi que du niveau peu élevé d’instruction. On note aussi parmi ces causes, l’accès limité de la population aux services sociaux de base comme l’eau et l’électricité74, l’insuffisance des toilettes décentes, la précarité de l’assainissement et de l’hygiène publique, l’insuffisance des infrastructures de base, la prévalence de certaines maladies comme le paludisme et les infections infantiles.
L’urbanisation sans urbanisme apparait à plus d’un titre comme une autre cause de la pauvreté à Kinshasa. Cela de suite de la carence d’aménagement de l’espace à travers certaines conséquences fâcheuses. Vers la fin des années 1990, par exemple, pour n’évoquer qu’une seule illustration, les études qui furent réalisées avaient inventorié 723 logements détruits par les érosions alors que 403 autres étaient menacés de destruction. Ce faisant, plus de 7.230 personnes sinistrées étaient sans logement et plus de 5.000 autres étaient en instance de les perdre76. L’absence d’aménagement de l’espace urbain était plusieurs fois notée comme manifestation et cause de la pauvreté77. On comptabilise aussi, parmi les causes de la pauvreté à Kinshasa, la mauvaise gouvernance et la corruption, l’absence d’une politique de redistribution des ressources par l’Etat.
Par rapport à toutes les autres villes du pays, Kinshasa qui a le double statut de province et de ville-capitale du pays, dispose d’un taux de pauvreté de l’ordre de 41,6%79. Considérée en termes d’inégalités de revenus et de consommation des ménages, la situation de la ville de Kinshasa se présente de la façon suivante pour l’année 200580 :
- dépenses en USD par tête et par an : 31,5%
- part des dépenses alimentaires : 48,8% - coefficient de GINI : 0,38%
En matière d’éducation, le taux net de scolarisation au primaire est passé de 76,3%, en 2001, à 88,4%, en 2002 ; tandis que le niveau de déperdition demeure le plus faible relativement à d’autres provinces. En dépit de ces avancées qui sont saluées par tous, les inégalités dans le secteur de l’éducation persistent et elles sont dues principalement au nombre fort élevé de la population Kinoise, évaluée aujourd’hui à plus ou moins 10 millions d’habitants.
S’agissant de l’accès aux services de santé, il est à constater que 98,1% des femmes accouchent dans des structures bien sécurisées. La couverture vaccinale est estimée à 62,3%, alors qu’en 2013, les formations hospitalières n’accusaient que le nombre de 33 établissements. Ce qui parait nettement insuffisant.
Le redoutable défi auquel se bute l’hygiène et la santé communautaires est celui de l’insalubrité et autres nuisances à l’environnement dont les plus dangereuses sont, notamment, celles des excrétas, des effluents industriels, de la pollution de l’air comme de la pollution diurne et nocturne ainsi que celle de l’émanation des déchets gazeux.
Selon certaines données disponibles, près de 55% des ménages à Kinshasa, utilisaient des latrines non hygiéniques en 2007. Au cours de la même année, la production des déchets ménagers étaient de 6.300m3 /jour, alors que 34,4% seulement étaient recouverts par des modes hygiéniques d’évacuation des eaux usées. En 2006, la production des déchets solides dans les unités industrielles et commerciales se dénombrait autour de 62.697 tonnes par an.
A cause de divers déficits d’évacuation qui, de nos jours, persistent encore, l’on assiste à la recrudescence des maladies dont le paludisme, la verminose, la dysenterie amibienne, la bilharziose, la filariose, la typhoïde, le choléra, etc
Concernant le crucial problème du chômage, les diverses enquêtes réalisées en 2005 et en 2012 citent la Ville Province de Kinshasa comme étant celle qui enregistre le taux le plus élevé, particulièrement, dans les milieux des jeunes, soit selon les chiffres du BIT, respectivement, de l’ordre de 15% et 19% contre un chômage global respectif de 49,1% et de 52%. Cela s’explique essentiellement par l’absence d’une véritable politique de l’emploi, par l’inexistence des investissements productifs, par le manque de planification entre formation et emploi mais surtout à cause de l’exode rural et de l’afflux des réfugiés fuyant l’insécurité et les guerres qui ne cessent de ravager tout l’Est du pays sans oublier une procréation toujours nombreuse. En matière de sous emploi, notamment, il y a lieu de noter qu’en 2005, par exemple, le taux de sous-emploi était de 74,2%.
En 2002, en moyenne 64,5% des ménages dépensaient moins de 0,5$ par jour pour se nourrir contre 1$ par habitant et par jour en 2009. Pour ce qui est de la malnutrition aiguë, elle était respectivement de l’ordre de 8,8%, en 2002, de 11,3%, en 2003 et de 14,8%, en 2008.
Dans le domaine de fourniture en eau et en électricité, la couverture varie quelque peu selon que l’on habite la périphérie ou le centre-ville. C’est ainsi que 6,7% des ménages disposent d’un robinet contre 79,3% des ménages qui s’approvisionnent en dehors du ménage. Il faut particulièrement déplorer des coupures et des délestages, particulièrement, pendant la saison sèche.
Dans l’ensemble et malgré ces délestages et ces coupures, Kinshasa reste plus ou moins favorisé avec une desserte de 74% des ménages, en 2012 contre 59,5%, en 2005.
Enfin, à Kinshasa, sur le plan du logement ou de l’habitat, les déficits en logement sont évalués à 54,4% sur un chiffre global de 3.000.000 pour l’ensemble du pays. A en croire le Plan National d’Action pour l’Habitat, les besoins annuels en logement à Kinshasa étaient évalués respectivement à :
- 1999-2005 : 14.619 logements
- 2005-2010 : 24.154 logements
- 2010-2015 : 33.114 logements
Voilà qui explique l’émergence constante des bidonvilles aux appellations diverses : « Pakadjuma » , « Camp Luka » , « Zamba Telecom » , « Ngudibaka » , etc.
Ces différents indices de pauvreté attestent que la majorité des Kinois ne mènent pas une vie urbaine adéquate. Heureusement, qu’en général, ils se sont accoutumés dans leurs conditions de marginalité. Cependant, cette accoutumance tire la ville par le bas. Dès lors, il se dessine ici déjà, des liens assez solides entre cette urbanisation de fortune, la pauvreté et la violence à Kinshasa.
La question de pauvreté est intimement liée à celle de population, de la consommation, de l’emploi, de revenu et d’accès aux besoins de base.
5.3. Violence
Kinshasa constitue, pour la République Démocratique du Congo, une grande ville, un centre d’impulsion exerçant une importante influence sur le plan national tant par son poids politique, économique, culturel que démographique. Il s’agit d’une mégalopolis qui s’étend à la vitesse de l’éclair. Ce qui révèle un phénomène qui laisse pantois plus d’un observateur attentif à l’évolution des espaces urbains congolais. Nous fiant aux estimations qui se font jour, Kinshasa compterait actuellement plus ou moins 10 millions d’habitants.
Comme d’aucuns le savent, une telle urbanisation rapide n’est pas sans conséquence sur le vécu des populations. Aussi se confrontentelles chaque jour, notamment, aux problèmes récurrents de la violence sur leurs étendues avec partout, une certaine acuité dans les zones de squating. De là, il est facile d’établir une relation de cause à effet entre l’urbanisation rapide de cette ville, son caractère désordonné, les formes extrêmes de pauvreté et de violence qui s’y observent. A Kinshasa, on est exposé à l’agression par des jeunes, souvent, dé- sœuvrés qui s’organisent en corporation de quelques individus que l’on nomme kuluna.
En effet, face à ce constat de la vie qui se déroule sous nos yeux, ici et là, nous ne pouvons-nous empêcher de tourner notre regard vers les années 90 marquées par une dictature parmi les plus abjectes que le monde ait connu et qui a engendré la misère et la pauvreté que nous indexons comme corollaire des actes criminels dénoncés chaque jour.
À ce tableau, il nous appartient de relever les différentes guerres (de libération puis celle dite d’agression) à la base d’un exode massif de populations vers la capitale, considérée comme milieu de refuge par excellence et la chosification de l’enfant qui sont autant d’horreur qui ont bouleversé les conceptions rassurantes de l’homme congolais fondées sur des énormes potentialités dont regorge le pays, terre gorgée de minerais mais devenue, depuis, inhospitalière pour lui.
Au milieu de ces aléas sordides, la part médiocre que la société congolaise réserve aux enfants qu’elle déverse au quotidien dans la rue pareil à des immondices alors qu’ils sont la signature des hommes sur le registre de l’histoire. N’est-ce pas ces quelques griefs suffisent pour justifier pourquoi la violence prend de l’ampleur en ayant pour acteurs, les jeunes garçons qui ne savent où cacher de la tête en considération de l’étendue de la misère qui les engloutit ? Pour décrypter cette matière entièrement centrée sur la violence urbaine en RDC, nous puisons de la littérature compulsée, des témoignages vifs faits lors de notre investigation de terrain, des matières articulées sur un plan en neuf points principaux en dehors de cette introduction et de la conclusion qui la fait culminer.
Au premier, nous examinons le contexte et la configuration de la violence. Au deuxième, nous identifions les principaux acteurs (directs et indirects) de la violence. Au troisième, nous spécifions les causes de la violence urbaine. Au quatrième, nous inventorions les facteurs spécifiques de l’amplification de l’insécurité à Kinshasa. Au cinquième, nous classifions les types d’insécurité qui se commettent à Kinshasa. Au sixième, nous pointons les quartiers réservoirs de la criminalité. Au septième, nous passons en revue les types d’armes à la portée des criminels. Au huitième, nous catégorisons les victimes de cette insé- curité. Au neuvième, nous posons l’idéologie fondatrice de l’auto-défense populaire.
5.3.1. Contexte et configuration de la violence
Toutes les grandes villes du monde font face, de façons variables, au phénomène d’insécurité. Kinshasa, la capitale congolaise, n’en est pas exemptée. D’ailleurs, cette ville, en tant qu’elle constitue une grande métropole d’influence nationale se présente aujourd’hui, comme une mégalopolis surpeuplée, délabrée, essoufflée, saturée, baignant ainsi dans le désespoir et dans l’incertitude du lendemain87. Ce qui ne manque pas de pousser un bon nombre de ses résidents à contourner les voies légales pour tenter d’assurer leur survie même en mettant en mal la quiétude et la paix tant des individus que de la collectivité au travers d’une insécurité astucieusement orchestrée.
Cette insécurité est devenue récurrente depuis la fameuse zaïrianisation (1973) et elle s’est amplifiée aux années 90, notamment, avec les pillages à répétition (1991 et 1993) de triste mémoire. Selon les opinions émises par les Kinois, ce sont ces pillages qui sont à l’origine du désinvestissement et du chômage qui ont pour corollaire, la recrudescence de la petite criminalité (actes de vandalisme, vol, délinquance juvénile).
Actuellement, la criminalité meurtrière telle qu’on l’observe à Kinshasa, est consécutive à la dispersion des armes de guerre entre les mains d’une portion de la population civile à la suite d’une démobilisation souvent mal encadrée de plusieurs unités combattantes (guerre de libération et d’agression). Cette insécurité s’est accentuée avec pour conséquence majeure, l’émergence de la grande criminalité (banditisme à main armée, assassinat lié à des règlements de compte).
D’après Tshikala K. Biaya, trois facteurs que sont la paupérisation, la croissance démographique et la violence étatique sont à la base de la contre violence des enfants et des jeunes. Pour cet auteur, la violence qui traverse l’Afrique et particulièrement la RDC est avant tout structurelle, c’est-à-dire qu’elle ne relève pas de la pathologie sociale.
Aujourd’hui, Kinshasa, développe tous les types de violence qui peuvent être facilement rapprochés et regroupés en des rubriques plus englobantes.
Les violences urbaines telles que nous les avons inventoriées à Kinshasa, partent de l’exclusion symbolique à la violence physique. Beaucoup de facteurs sociaux et psychologiques motivent le départ de l’enfant pour la rue.
Ce processus s’effectue successivement ou brutalement selon le cas. Une fois que l’enfant a coupé le lien avec sa famille, il rejoint une bande cessant du coup d’être un enfant dans la rue, pour devenir l’enfant de rue.
Parmi les motifs avancés par les résultats des enquêtes antérieures pour justifier cette fugue de l’enfant, figurent le divorce des parents, l’abandon, la sorcellerie, le rejet par la famille élargie ; lorsqu’il s’agit d’un migrant rural, la migration due à la guerre, le retour au pays des jeunes refoulés d’un pays voisin, etc.
Les bandes des enfants et des jeunes sont un univers où la violence physique entre pairs est facilement combinée avec celle que mène un aîné pour le contrôle et la domination de la bande. Ce dernier, souvent un adulte âgé force les enfants et les jeunes à voler, à lui remettre les fruits du larcin. Au sein du groupe et dans la rue, les plus jeunes sont abusés physiquement et sexuellement par les plus âgés. D’autres bandes considèrent que la violence, entre pairs et entre bandes, est la voie initiatique pour l’intégration dans une seconde « famille ».
Par certains égards, le rapport entre politique et violence urbaine constitue un autre champ où le recul de l’Etat et de son monopole de l’usage de la violence ont généré un processus en paliers, qui a permis la jonction entre les conflits armés et la violence urbaine.
En effet, la mise en place des partis uniques et de la société hyper matérialiste et inégalitaire a généré une violence partisane conduite par les milices dans les affrontements sanglants, puis meurtriers avec des groupes des manifestants et des milices d’autres partis dans la transition démocratique
La crise économique et la croissance rapide de la jeunesse constituant la majorité de la population nationale ont, de surcroit, suscité la crainte des dirigeants, qui ont failli à leur parole : la jeunesse qui était présentée par eux comme la priorité dans leurs discours, est, aujourd’hui, banalisée et réduite à la mendicité et à la débrouillardise pour survivre. Elle est jetée à la rue. Dès lors, les jeunes vivant dans une insécurité puisque la police ne peut plus protéger efficacement les biens et les citoyens, ont monté les milices des quartiers, leurs propres groupes de justice populaire instantanée et expéditive.
5.3.2. Principaux acteurs de la violence
5.3.2.1. Acteurs directs de la violence
Par acteur direct de la violence, nous entendons les personnes qui agissent en ne se voilant pas la face et qui agissent de pleine conscience tout en sachant qu’ils sont des malfrats, c’est-à-dire des acteurs qui perpétuent le mal et dont l’essence de vie et du travail tient à la violence. De ce groupe, la littérature distingue les acteurs cachés et les acteurs visibles :
a . Acteurs cachés
D’une façon générale, par acteurs cachés, l’on désigne des castes bien complexes, en surnombre dans la ville, riches et efficaces dans les opérations négatives qui justifient le nombre de coups qu’ils portent dans la société.
b. Acteurs visibles
Les acteurs visibles du gangstérisme urbain sont constitués à travers des organisations des malfaiteurs qui fonctionnent de manière lunatique. Leur vraie nature est quelque fois dissimulée. Nous en avons deux catégories.
La première est celle que l’on retrouve aujourd’hui dans plusieurs villes congolaises dont Kinshasa. Son existence est un secret de polichinelle. Tout le monde d’ailleurs en parle et en sait quelque chose. Les membres de ces groupes sont connus, car certains d’entre eux sont passés sous les verrous à plusieurs reprises et ont été libérés par la suite. Est-ce dire qu’ils ont abdiqué par rapport à leur activité ? Nous éprouvons de la peine à l’admettre, car même mille ans dans l’eau, un tronc d’arbre ne peut jamais se muer à crocodile. La prison ne transforme jamais complètement les bas instincts de l’homme.
La seconde catégorie est constituée, elle, par les enfants de la rue généralement sans dénomination. Ces gangs dénommés « kuluna » sont des vraies machines de destruction de la paix et de la sécurité publique.
De manière concrète, aussi paradoxal que cela puisse paraître, à Kinshasa, le phénomène kuluna apparaît comme une organisation à la fois simple et complexe. Nous disons simple parce qu’en tant que structure informelle, ce mouvement n’est pas bureaucratique. En cela, elle répond à un fonctionnement spontané, consensuel et clandestin. Nous avons ensuite dit qu’elle était une organisation complexe en ceci que les gangs ne mènent pas une vie très libérale. Leur organisation se structure autour de quatre paliers : la coordination générale, la ceinture du chef, les membres et les copines.
À propos de la Coordination Générale, c’est elle qui se charge de répondre à tous les impératifs de l’organisation de la bande et trace la ligne de conduite à suivre. Le chef de gangs passe pour un homme exceptionnel vis-à-vis de ses disciples : il est le plus audacieux, le plus fort et le garant de survie de la bande. C’est une personne « invincible », mythique et capable de faire douter et de défier les agents de la Police Nationale Congolaise (PNC), voire les agents des unités combattantes (FARDC). Il dirige sa bande de manière souveraine et jouit du monopole de la décision qui est sans appel.
Quant à la Ceinture du chef de gangs, elle est constituée d’une équipe composée des membres qui lui sont proches. Le rôle de celle-ci est d’aider le chef dans l’exercice de ses fonctions et dans l’accomplissement sans faille des objectifs fixés par la corporation.
Au sujet des Membres, disons d’eux qu’ils sont des élèves fidèles et dociles qui exécutent servilement les ordres édictés par le maître et sont astreints à une grande discrétion.
S’agissant des Copines qui sont placées sous la dépendance et sous la protection des kuluna, elles sont des spécialistes dans l’accomplissement de sales besognes essentielles, spécialement le guet-apens dans la survie du groupe. Toutefois, les rivalités autour du commerce charnel entre les copines et les gangs donnent libre cours à des bagarres rangées et à des dénonciations.
5.3.2.2. Acteurs indirects
Par la forme indirecte des gangs, la littérature entend des organisations apparemment légales et promptes et qui ne donnent pas du tout l’air de gangs, qui sont pourtant au fond, dans les réalités kinoises, des cadres de prédilection du gangstérisme. C’est particulièrement le cas des cercles sportifs (arts martiaux) et des groupuscules de coin de rue.
5.3.3. Facteurs favorisant la violence et la criminalité à Kinshasa
En nous référant à la revue de la littérature sur la criminalité à Kinshasa, deux ordres de données spécifient son avènement. L’un renvoie au caractère tumultueux du contexte sociopolitique qui marque la RDC depuis son accession à l’indépendance. L’autre, d’après cette même littérature, se rapporte à la propension pronataliste qui colle à la peau des congolais.
5.3.3.1. Soubassement psychologique au gangstérisme juvénile
En interrogeant l’histoire, on se rend compte que c’est depuis l’accession du pays à l’indépendance que les Kinois subissent, sans discontinuer, les affres de la violence urbaine. Si pendant la colonisation ceux-ci ont pu être maîtrisés, sous la deuxième République, Kinshasa a connu le phénomène du gangstérisme urbain, les noms des grands bandits tels que Angwalima, Azevedo, Asumba na Nganda, De soto… restent bien graver dans la mémoire collective kinoise.
Par rapport à ce qui précède, il est avéré que les enfants qui grandissent dans un environnement fait de privation, d’accumulation de frustration et de discrimination à la base de leur angoisse ne peuvent que développer l’agressivité et la violence comme comportement déviant que nous rencontrons chaque jour à Kinshasa.
Depuis près de dix ans bientôt, les autorités urbaines ont pris des mesures pour éradiquer le kuluna, cette forme redoutable du gangstérisme radical, malfaisant, violent et agressif aux dénominations évocatrices (armée rouge, guerre de 100 ans, zoulous, force de frappe…).
Jusqu’à ces jours, la situation de la délinquance urbaine ne s’améliore pas, en particulier dans les quartiers péri urbains de la ville de Kinshasa.
Cela rappelle à bien d’égards une autre recherche déjà ancienne portant sur la domestication de la violence91. Cette étude, dans son ensemble, n’a fait que cibler les étudiants de l’Université de Kinshasa en 2008 et qui sont passés Maître dans les actes de vandalisme.
5.3.3.2. Propension pro-nataliste
D’après la tradition africaine, en général, et congolaise, en particulier, « une abondante descendance est désirée par tout le monde » : femme, mari, clan. A la question combien d’enfants aimerez-vous avoir ? L’Africain, et dans son sillage, le Congolais, répondra invariablement : « autant que le bon Dieu le voudra ».
Une telle culture pronataliste persistante est à la base de plusieurs incommodités, notamment, des charges débordantes et la déscolarisation de la jeunesse. Revenant spécifiquement à la vie de Kinshasa, les familles nombreuses exposent leurs enfants à des privations constantes qui les prédisposent à la marginalisation et à tout tenter par eux-mêmes. Ce qui le prête à toute sorte d’aventure, la criminalité y compris93. Ce qui n’est pas sans conséquence au plan économique et social de la ville de Kinshasa.
a. Au niveau économique
La crise économique en RDC est une réalité permanente avec laquelle il faut compter. Ici, le marché d’emploi se rétrécit depuis les pillages des années 91-93 : de nombreux parents sont au chômage depuis des lustres, la situation des travailleurs n’est pas du tout rose à cause de la politique de bas salaires. Ce qui explique l’émergence, dans beaucoup de ménages, des activités informelles pour se garantir une existence biologique. Ce qui pousse les enfants à se mettre à contribution dans cette quête de survie en dépit de la loi qui proscrit le travail des mineurs. En d’autres termes, le surnombre d’enfants dans les ménages accentue la pauvreté.
b. Au plan social
Le train de vie menée en milieu urbain implique des moyens financiers substantiels. Ce qui contraint ses résidents à faire face à des besoins divers et contraignants dont la satisfaction repose sur des capacités socio-économiques de chacun. Cela n’est malheureusement pas à la portée du plus grand nombre.
Les familles nombreuses particulièrement, en sont exposées dans la mesure où leurs membres se confrontent au quotidien à un lot de problèmes sociaux récurrents (logement précaire, promiscuité, manque d’hygiène individuelle et au niveau de la collectivité, malnutrition).
5.3.4. Facteurs spécifiques de l’amplification de l’insécurité à Kinshasa
Face à la prise en charge du bien-être collectif, à la sécurité des citoyens ainsi qu’aux méfaits du pronatalisme, les pouvoirs publics ont, ici, depuis belle lurette, étalé leurs limites. Car, à cette série de facteurs favorisant l’insécurité à Kinshasa, doit être ajoutés certains autres facteurs que nous qualifions de spécifiques et qui concourent dans l’entretien de l’insécurité dans le paysage social Kinois.
Au rang de ceux-ci, nous épinglons l’étendue de la ville, l’inefficacité de la police de proximité, la consommation des boissons alcoolisées à forte teneur, la paupérisation des masses Kinoises, la détention illégale d’armes à feu, la dépravation des mœurs et les antagonismes politiques.
Au cours de trois dernières décennies, l’explosion démographique de Kinshasa est telle qu’elle a engendré une extension spatiale sans précédent de la ville (9.965 Km²). Il est donc difficile de quadriller ce mégapole pour offrir aux résidents une sécurité de proximité au regard de la problématique de l’intervention inefficace des agents de la Police.
Bien plus, n’oublions pas que cette Police Nationale Congolaise de proximité est amputée non seulement par un effectif limité mais aussi par des moyens logistiques vétustes en dépit de sa détermination et de sa bonne volonté, car à travers les communes de Kinshasa, ville où les espaces enclavés sont légions. Ce qui représente de véritables repères pour les kuluna, ces gangsters qui se sentent en sécurité lors qu’ils sont loin de l’harcèlement des policiers.
À ce facteur, il faut ajouter la paupérisation des masses Kinoises, chômeurs pour la plupart et dépourvus des qualifications professionnelles, requises. En effet, Kinshasa compte une population majoritairement jeune, sans pouvoir d’achat vouée. On ne peut alors s’étonner que cette ville ne puisse fabriquer des délinquants et des criminels à surnombre. Une telle pauvreté endémique au sein de la jeunesse fait que Kinshasa soit une ville à forte consommation des boissons alcooliques.
En effet, les wiskys à forte teneur sont produits en dehors de toute norme sanitaire et vendus librement à Kinshasa. Les kuluna, grands consommateurs des drogues et de ces alcools frelatés (Supu na tolo, café rhum, bande rouge, K.O. débout…) n’ont qu’un seul réflexe après consommation : s’attaquer aux paisibles Kinois, le jour ou la nuit avec des armes blanches.
Dans ce même registre, la détention illégale d’armes à feu par une catégorie mal formée des Kinois entretient, au quotidien, le spectre de l’insécurité en dépit de tous les efforts déployés par les autorités urbaines en vue de son allégement et pourquoi pas de l’éradication complète de l’insécurité urbaine telle qu’elle se vit ici.
Nous savons aussi que Kinshasa est noyé par des mœurs permissives qui mettent à mal leurs résidents. Ici, l’injure publique, le pickpocket, le larcin, les coups et blessures et d’autres délits de cette espèce semblent relever des faits ordinaires, c’est-à-dire qui ne troublent pas la conscience collective (petite criminalité).
Aux côtés des facteurs déjà évoqués, d’autres investigations ont relevé les poches noires dues au délestage de l’énergie électrique, cet autre facteur attise l’insécurité à Kinshasa. Ainsi qu’on peut le deviner, dans une agglomération aussi tentaculaire, surpeuplée et qui entretient une jeunesse pauvre, oisive, dont une partie détient des armes à feu, à travers des avenues non éclairées, Kinshasa offre des nuits paisibles d’opérations à des brigands de tout bord.
La vie d’anonymat, dans laquelle se noient les Kinois, jointe aux antagonismes politiques, s’ajoute à cette liste des facteurs qui ravivent l’insécurité à laquelle sont soumis les citadins.
En effet, Kinshasa, une ville tentaculaire, se double d’un surpeuplement attesté qui octroie à ses habitants, un degré d’anonymat élevé qui libère l’esprit chez un grand nombre. Ce qui l’engage à poser des actes anomiques. En témoigne, le fait que des brigands opèrent souvent en dehors de leurs quartiers résidentiels comme le révèle les résultats des enquêtes menées par la Police Nationale Congolaise sur le gangstérisme de rue. D’après cette enquête, chaque bande s’éloigne de son quartier de résidence pour opérer en toute quiétude dans un anonymat presque parfait.
À la lumière de cette série de facteurs, il apparait clairement que ces germes d’insécurité sont potentiellement présents sur toute l’étendue de la ville de Kinshasa à l’instar des autres agglomérations dans le monde.
Au regard de ce qui précède, force est de reconnaître que la propension pro-nataliste constitue pour beaucoup de familles congolaises, une source d’ennuis et de tracasseries dès lors qu’elle ruine les géniteurs et qu’elle jette la progéniture dans l’exclusion sociale.
5.3.5. Type d’insécurités qui se vit à Kinshasa
Le type d’insécurités au centre de cette investigation est l’insécurité sociale. Celle-ci se conçoit comme un manque de moyen que l’Etat ou une organisation doit mettre en œuvre pour arriver à protéger les populations civiles (personnes physiques et morales) ainsi que leurs biens et activités en tout temps (temps de guerre, temps de crise, comme en temps de paix contre des risques et des menaces de toute nature, civile ou militaire). Voici par ailleurs, au travers de tableaux qui suivent, la nature de crimes, les auteurs de crimes et les heures de crimes perpétrés par les kuluna à Kinshasa.
Tableau V. Nature et évolution des perpétrées par les kuluna à Kinshasa entre 2011et 2014.
5.3.6. Quartiers réservoirs des kuluna à Kinshasa
Les principaux quartiers généraux des criminels se retrouvent implantés dans plusieurs communes de la ville. Le rapport annuel d’activité 2012 de la Police criminelle ville de Kinshasa, reprend les 15 Communes réservoirs des kuluna à Kinshasa. Il s’agit des communes ci-après : Matete, Ngaba, Makala, Kisenso, Limete, Kalamu, Barumbu, Kinshasa, Bumbu, Ngiri-ngiri, Bandalungwa, Masina, Kimbanseke, Kintambo et Ngaliema. Les tableaux ci-dessous reprennent, par commune, la dénomination de l’écurie, le pseudonyme du chef de l’écurie, le quartier résidentiel et l’observation sur l’activisme ou non de l’écurie.
CONCLUSION
Comme pour tout épilogue, l’occasion nous est enfin donnée de faire un certain nombre de rappels, avant de dégager les enseignements essentiels qui ressortent de cette brève étude sur la ville de Kinshasa.
À ce propos, il convient d’abord d’évoquer le contexte dans lequel s’origine l’élaboration de la monographie ainsi que l’objectif qu’elle poursuit.
Tout est parti du projet lancé et financé conjointement par le CRDI et l’UKAID. Ledit projet entend, grâce aux résultats des recherches sur terrain, contribuer à rendre sûres et inclusives les villes du Sud, de manière à les épargner des graves manifestations de la pauvreté et de la violence dues généralement à des processus de sururbanisation sans politiques viables d’urbanisme.
Plus spécifiquement, la monographie consacrée à la ville de Kinshasa, à l’exemple de celle de la ville de Mbujimayi, vise à rassembler, sur base des données théoriques ou qualitatives, empiriques ou quantitatives des résultats heuristiques susceptibles de capitaliser la meilleure connaissance de l’équation urbanisation, pauvreté et violence.
Aussi convient-il d’avoir présent à l’esprit l’essentiel des enseignements qu’il nous appartient de dégager de chacun des cinq chapitres constitutifs de ce modeste ouvrage.
Traitant du cadre physique, le chapitre premier s’est employé à situer succinctement l’ensemble des données géographiques et géologiques de Kinshasa ainsi que sa localisation, mieux sa topographie.
Ce qu’il faut en retenir c’est que la ville est construite sur une configuration contrastée, faite à la fois de la plaine ou ville basse et des collines ou ville haute, d’où sa forme d’amphithéâtre qui la situe au bord du fleuve.
Le chapitre deux a eu l’avantage de situer, dans une perspective historique, l’origine et l’orthographe du nom Kinshasa. Deux hypothèses très proches existent à cet égard : celle qui prétend que Kinshasa vient du mélange des deux langues Kikongo et Kihumbu pour désigner un endroit où s’exerçait le commerce du sel. Et la seconde qui privilégie l’origine Teke, à partir du verbe UTSAYA qui veut dire échanger.
Il décrit ensuite l’entrée dans l’histoire du vieux village commercial de Kinshasa, à partir du 17ème siècle, à la faveur du voyage des missionnaires Capucins venus de l’Italie ainsi que de l’odyssée de Stanley, sans oublier son émergence en tant qu’espace urbain, avec la création du poste de Léopoldville qui deviendra la capitale du pays, en 1923.
Le chapitre trois qui décrit les processus du peuplement et l’évolution démographique, présente d’abord la structure des populations autochtones composées des Humbu, des Teke et des Bamfunga, sans oublier les autres populations issues des migrations plus ou moins ré- centes comme les Angolais, les Lari de Brazzaville et même des Ouest africains, des Européens et des Asiatiques.
Démographiquement parlant, Kinshasa compte actuellement près de 12 millions d’habitants. Ce qui fait de cette agglomération, une ville à croissance très rapide. Cela explique aussi ses nombreuses vulnérabilités et inégalités caractérisées par la dégradation continue des conditions sociales de vie de ses populations.
En ce qui concerne l’organisation politico-administrative mais aussi les données économiques et socio-culturelles évoquées dans le chapitre quatre, il est à noter que :
- en sa qualité de province, Kinshasa dispose d’une Assemblée provinciale dont le Président est élu par les députés provinciaux et d’un gouvernement provincial dirigé par un gouverneur, un vice-gouverneur et par des ministres ;
- comme toute province, Kinshasa abrite à la fois des divisions administratives qui relèvent du pouvoir central ainsi que ses propres administrations et services publics, sans compter les administrations des 24 communes urbaines, réputées entités décentralisées et comprenant chacune deux organes : le Conseil communal et le collège exécutif communal. Enfin au sujet du dernier chapitre, qui est à considérer comme le chapitre clef, il est à retenir les éléments suivants quant à son contenu :
- la présentation des caractéristiques majeures en rapport avec l’équation urbanisation, pauvreté et violence ;
- les manifestations de la pauvreté et de la violence inhérentes à une urbanisation anarchique et discriminatoire ;
- à ce propos, bon nombre de travaux qui ont été réalisés et des solutions préconisées jusqu’ici demeurent isolés et fragmentaires. Cet état de choses ne peut favoriser une meilleure saisie du triptyque, encore moins dans ses formes nouvelles, lesquelles ont tendance à se pérenniser.
Aussi nous a-t-il semblé nécessaire de tenter une autre grille d’analyse de ces nouveaux phénomènes afin, non seulement de mieux en appréhender les acteurs et leurs modes d’actions, mais aussi de connaitre les différentes interactions entre urbanisation-pauvreté/ inégalités sociales-violences, pour déceler les conditions qui permettraient des meilleures opportunités d’élaboration des politiques et des programmes efficaces de lutte contre ces fléaux.
Mais avant de terminer, il nous importe de rappeler que ce débat de fond sur les interactions entre les composantes du triptyque n’est pas directement abordé dans cet opuscule. En tant que monographie, celle-ci s’est limitée à circonscrire les contingences sociales à même de rendre intelligibles les résultats finaux attendus dans les prochaines étapes de la réalisation du projet.
Source : Monographie de la ville de Kinshasa ICREDES 2015
Kinshasa city guide 
Commentaires (2)

- 1. | dimanche, 18 février 2018

- 2. | samedi, 16 septembre 2017
Que cette oeuvre continue. Je suis à Bunia, Ituri
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Date de dernière mise à jour : samedi, 12 janvier 2019