Fabrication artisanale d’armes à feu en RD Congo : Enquête au Maniema et à l'ex province du Bandundu.
Se procurer une arme à feu au Congo ne coûte rien. Avec 20 ou 30 dollars, il est facile d’acheter une arme de fabrication artisanale. Revolver, pistolet, carabine, canon portatif, tout existe sur le marché noir.
Bien que clandestine, l’industrie locale de fabrication artisanale de fusils se porte à merveille. Le business est même florissant en raison de la forte demande dans les milieux où sévit l’insécurité.
Fabrication des armes artisanales en RDC
Le 30/09/2019
Que retenir de la loi en vigueur en matière de fabrication d’armes à feu ?
Comme pour la détention, la fabrication d’armes de guerre est interdite, sauf autorisation spéciale du « président du Mouvement populaire de la révolution (MPR), Mobutu Sese Seko, président de la République du Zaïre», le chef de l’État (article 5 de l’ordonnance-loi n° 85-035).
L’article 13 précise que la fabrication d’armes et de munitions de guerre et de diverses armes particulières (cannes-épées, armes à feu pliables ou silencieuses, etc.) ne peut être autorisée que si elles sont « destinées à l’armement des forces armées zaïroises », à des personnes bénéficiant d’une autorisation du « président du Mouvement populaire de la révolution, président de la République » ou « réservées à l’exportation ». De même, la fabrication d’armes à feu de chasse, de sport ou d’auto-défense est soumise à une autorisation préalable du « président du Mouvement populaire de la révolution, président de la République » (article 18, §1).
Il existe cependant une exception concernant la fabrication d’armes artisanales, dont l’autorisation doit être préalablement délivrée par le « président régional du Mouvement populaire de la révolution et gouverneur de région », mais à condition que l’arme fabriquée soit destinée « à l’usage personnel du fabricant ou à celui de sa famille » et que « la personne à qui l’arme est destinée n’en détient pas d’autres » (article 18, § 2 et 3). Ce qu’il faut entendre par « famille », notamment le degré d’élargissement autorisé, n’est cependant pas précisé dans le texte de loi.
Cependant, au vu de l’ordonnance n° 85-212, la procédure d’obtention d’un permis de fabrication ou de réparation d’armes ou de munitions semble bien plus simple que dans le texte précédent. Selon les mesures d’exécution, le fabricant ou réparateur peut se contenter d’en faire la « déclaration à l’autorité de la Zone du lieu de la fabrique…, qui en inscrit la mention dans un registre et en informe la Région ou le Département de l’administration du territoire » (article 10).
La même ordonnance, par son article 36, fixe également à 500 zaïres le montant de la taxe pour l’autorisation de fabrication artisanale d’armes à feu. Aucune taxe n’est prévue pour la fabrication d’armes industrielles, une absence logique puisque, à l’époque comme aujourd’hui, il n’existait aucune industrie d’armes enregistrée sur le territoire congolais. Par ailleurs, contrairement à l’ordonnance-loi n° 85-035, la fabrication et l’achat de munitions sont évoqués dans l’ordonnance n° 85-212. Si ce dernier texte ne fait pas de distinction dans les conditions relatives à la fabrication d’armes « civiles » ou de munitions (article 10, voir supra), l’autorisation d’achat de munitions est réservée, fort logiquement, aux détenteurs de permis de port d’armes, à condition que ces munitions soient adaptées à l’arme ou aux armes détenues. La quantité d’achat est limitée et doit figurer sur le document faisant fonction d’autorisation (article 15). Ce document est délivré moyennant une taxe de 200 zaïres (armes de chasse ou de sport) ou de 1 000 zaïres (armes d’auto-défense).
Enfin, notons que l’ordonnance-loi n° 85-035 prévoit des peines de 5 à 10 ans de prison et une amende de 10 000 à 50 000 zaïres pour les infractions concernant tant la détention ou la fabrication d’armes de guerre (article 36) que la détention ou la fabrication d’armes de chasse, de sport ou d’auto-défense (article 37). En outre, le juge a l’obligation de prononcer la confiscation des armes ou munitions impliquées dans l’infraction (article 40). Comme on le remarque aisément, la législation actuelle sur les armes n’est plus guère adaptée au contexte congolais. D’une part, les autorités de référence, le parti unique, les subdivisions territoriales, la monnaie et le nom de l’État ont changé depuis la fin du mobutisme.
Ainsi, en 1985, lorsque les ordonnances-loi ont été adoptées, le Zaïre comptait 9 régions, y compris la ville-province de de Kinshasa. Trois ans plus tard, le Kivu était scindé en trois et le pays comptait donc onze régions. En juillet 1998, soit un peu plus d’un an après la chute de Mobutu, les « provinces » remplaçaient les « régions », mais le découpage restait identique et est encore appliqué de nos jours, malgré la constitution entrée en vigueur en février 2006, après référendum, qui prévoit, par son article 2, le découpage de la République démocratique du Congo en 25 provinces, en plus de la ville de Kinshasa. On peut donc en déduire sans trop de risque que le poste de « président régional du Mouvement populaire de la révolution et gouverneur de région » correspond au poste actuel de gouverneur de province. De même, le poste de « président du Mouvement populaire de la révolution, président de la République » correspond, selon toute vraisemblance, à celui du président de la République actuel et chef de l’État. Quant à celui de « commissaire d’État à l’administration du territoire », il semble correspondre à celui de l’administrateur du territoire dans la configuration actuelle, le territoire étant une subdivision d’une province (pour le cas des trois provinces issues du Kivu) ou d’un district (dans les autres provinces – le district étant la subdivision d’une province). Quant à la « zone » de l’époque mobutiste, elle semble porter actuellement le nom de « territoire » si elle est rurale et de « commune » si elle est urbaine. Enfin, le montant des amendes et des taxes, autrefois libellé en zaïres, semble avoir été converti en dollars des États-Unis, au vu de la brève synthèse de la législation insérée par le gouvernement de RDC dans son rapport de la fin 2011 sur la mise en œuvre du Programme d’action des Nations unies et du Protocole de Nairobi (Rapport de la République démocratique du Congo sur la mise en œuvre du Programme d’action des Nations unies et du Protocole de Nairobi en vue de prévenir, combattre et éliminer le commerce illicite des armes légères et de petit calibre sous tous ses aspects, décembre 2011, Programme of Action Implementation Support System (PoA-ISS). http://www.poa-iss.org/CASACountryProfile/PoANationalReports/2012@46@PoA-DRC-2012.pdf .
Par ailleurs, rappelons que, sous de nombreux aspects, cette législation est loin d’être conforme aux engagements internationaux pris par la RDC, en particulier le Protocole de Nairobi. Ainsi, contrairement aux prescriptions de ce protocole, aucun enregistrement centralisé de toutes les armes détenues par des civils n’est prévu, pas plus que de banque de données de tous les détenteurs d’armes. Sur le plan de la fabrication, les textes de 1985 ne prévoient aucun marquage des armes produites, ni de stockage des données, pendant dix ans minimum.
Enfin, même si la législation de 1985 reste théoriquement en vigueur, plusieurs pans ne sont plus appliqués, par exemple la délivrance de permis de port d’armes29. Il n’est dès lors pas étonnant que, malgré leur volonté exprimée de s’en procurer, l’immense majorité des détenteurs d’armes artisanales rencontrés par nos enquêteurs à travers le Congo ne soient pas en possession de la moindre pièce officielle l’y autorisant.
Armes artisanales au Bandundu : synthèse
A) Producteurs et réparateurs
- Une majorité de producteurs et réparateurs d’armes artisanales et de munitions du Bandundu se livre à d’autres activités professionnelles que la production ou la réparation d’armes, principalement l’agriculture. Seuls 17 % des répondants ont déclaré gagner leur vie uniquement ou principalement grâce à la production ou la réparation d’armes ou de munitions.
- La majorité des répondants a déclaré être forgeron, une profession apprise d’un ascendant et qu’ils ont l’intention de transmettre à un descendant. L’âge moyen des producteurs et réparateurs est élevé (autour de 50 ans).
- Les armes produites ou réparées sont essentiellement utilisées pour la chasse et, plus marginalement, pour la protection et les activités coutumières. - L’arme la plus produite est le fusil de chasse dit « calibre 12 », tirant des cartouches 00 et dont le prix est compris entre 55 et 200 USD. Ensuite, vient le pupu, légèrement moins cher, et ne nécessitant pas de cartouches. Aucune évolution significative de la demande et des prix n’a été constatée.
- Les prix les plus bas ont été relevés dans le territoire de Kwamouth. C’est également dans ce territoire et dans ceux, voisins, de Mushie et de Kutu qu’une importante prolifération d’armes industrielles a été constatée.
- Le nombre d’armes produites par an varie considérablement, mais est généralement assez faible, compris entre 3 et 48 armes. De même, le temps nécessaire pour fabriquer ou réparer une arme varie fortement.
- Les munitions nécessaires pour ces armes sont surtout des cartouches 00, fabriquées localement ou, plus souvent, importées du Congo-Brazzaville. Elles seraient plutôt facilement disponibles. À l’exception du Kwamouth, une majorité de producteurs d’armes a déclaré produire des munitions, ou des éléments de celles-ci.
- Une grande majorité de producteurs répare également les armes en cas de problème. Ceux du Kwamouth n’hésitent pas à réparer aussi des armes industrielles, à l’inverse de ceux du Kwango.
- Une majorité de producteurs et réparateurs, sauf au Kwango, a déclaré être consciente des lois réglementant la production ou la réparation d’armes. Une très forte majorité a déclaré être prête à s’enregistrer auprès des autorités compétentes. Une majorité a déclaré être capable de marquer les armes produites ou réparées même si, techniquement, cela semble difficile.
B) Détenteurs
- Environ les trois-quarts des détenteurs d’armes artisanales ne possèdent qu’une seule arme, les autres en ayant deux ou trois. Un peu plus de 10 % d’entre eux, tous dans le district du Plateau, possèdent également une arme de chasse industrielle.
- La moyenne d’âge des détenteurs est élevée (environ 50 ans). Ceux-ci sont en possession d’une arme depuis, en moyenne, 16 ans.
- Une forte majorité a déclaré détenir un fusil de chasse de calibre 12, acquis – dans plus de la moitié des cas – directement auprès du producteur.
Les détenteurs ayant récemment acheté leur arme semblent l’avoir acquise à un prix compris entre 111 et 200 USD. - Tous les détenteurs semblent utiliser principalement leur arme pour la chasse. - Les munitions nécessaires à ces armes sont généralement des cartouches 00, dont la disponibilité est ressentie comme grande par les répondants du Plateau et du MaïNdombe. - Ces cartouches, provenant généralement du Congo-Brazzaville si elles ne sont pas produites localement, sont vendues à un prix tournant autour de 1,78 USD à l’unité et autour d’une bonne trentaine de dollars pour une boîte de 25. - La majorité des répondants, sauf au Kwango, a déclaré connaître les lois concernant la détention d’armes. Une écrasante majorité s’est dite prête à demander une autorisation de port ou de détention d’armes. C) Responsables de la sécurité - Le nombre d’armes saisies ces deux dernières années est faible, mais il s’agit presque toujours d’armes de fabrication artisanale. - Dans la plupart des cas, les personnes dont les armes ont été saisies avaient commis d’autres infractions que le port illicite d’armes, bien que – dans certains cas – il est possible que ces confiscations relèvent de tentatives d’extorsion de la part de la police. - De manière générale, l’application stricte des textes légaux concernant la détention d’armes ne semble pas au cœur des préoccupations de nombreux responsables de la sécurité.
D) Responsables de la santé
- Relativement peu de blessés par arme à feu ont été soignés ces deux dernières années dans les centres de santé où opère le personnel médical interrogé.
- Une partie des blessés l’a été à la suite d’accidents plutôt qu’en conséquence d’actes intentionnels.
- Dans tous les cas, les armes ayant causé des lésions étaient de fabrication artisanale.
E) Responsables traditionnels
- Pour une grande majorité de chefs traditionnels, tant la production que le port ou l’utilisation d’armes, y compris industrielles, font partie intégrante de traditions anciennes et sont indispensables pour marquer divers actes marquant la vie locale, telles l’intronisation de chefs, l’annonce de décès de personnalités ou la célébration de mariages.
- Une majorité de la population adulte et mâle serait détentrice d’armes.
- Selon la moitié des répondants, les armes sont parfois utilisées à mauvais escient, suscitant des réactions spécifiques de l’autorité traditionnelle.
- Tous les chefs interrogés se sont dits prêts à favoriser l’enregistrement des détenteurs.
Armes artisanales au Maniema : synthèse
A) Producteurs et réparateurs
- Seuls 2 des 41 producteurs et réparateurs d’armes interrogés au Maniema ont déclaré ne vivre que d’activités liées aux armes. Les autres vivent principalement de l’ordre de 70 à 90 % de leurs revenus.
– d’autres activités, surtout l’agriculture, mais aussi la réparation de motos/vélos et la fabrication d’outils et de biens ménagers.
- La quasi-totalité des producteurs et réparateurs a déclaré être forgeron, une profession apprise, majoritairement, auprès d’un ascendant, mais fréquemment également auprès d’un institut d’enseignement. Seule une petite moitié des répondants aurait l’intention de transmettre sa profession à un ascendant. L’âge moyen des producteurs et réparateurs est élevé (autour de 52 ans).
- Les répondants ont unanimement affirmé que leurs armes servaient à la chasse. Parmi les types d’acheteurs, les chasseurs ont été cités, ainsi que différents groupes ethniques du Maniema.
- L’arme de loin la plus produite et la plus réparée (par plus de 80 % des répondants) est le baïkal, inspiré du fusil de chasse russe du même nom, vendu de 67 à 100 USD. Il précède le vanguard, vendu généralement un peu plus cher, et le popo, un fusil n’utilisant pas de cartouche. Aucune différence de prix significative entre les territoires n’a été constatée.
- Selon une forte majorité de répondants, la demande, autant au niveau de la production que de la réparation, serait à la baisse. Une tendance similaire affecterait les prix, mais ce ne serait pas dû à la concurrence d’armes industrielles bon marché, du moins dans les villages, mais bien davantage aux difficultés liées à la chasse.
- Les producteurs qui ont pu quantifier leur production ont déclaré fabriquer de 8 à 48 armes par an, la fabrication d’un fusil demandant entre 3 semaines et un mois de travail pour la moitié d’entre eux.
- La majorité des armes produites ou réparées au Maniema utilisent des cartouches 00 de calibre 12, à l’exception de la poudre et des plombs du popo. Ces cartouches sont, soit produites localement, par les chasseurs ou par une petite partie de producteurs d’armes, soit importées, visiblement depuis le Congo-Brazzaville, et transiteraient via diverses villes de RDC. Une forte majorité de producteurs estiment qu’elles sont facilement disponibles.
- Tous les 32 producteurs ont déclaré réparer des armes artisanales et une bonne moitié également des armes industrielles. Cependant, un seul des 9 réparateurs non producteurs a affirmé qu’il lui arrivait de réparer des armes de chasse industrielles.
- Seuls 9 producteurs et réparateurs ont dit être conscients des lois concernant leurs activités, bien que tous les producteurs des territoires de Kaïlo et de Punia se soient estimés bien informés. La possibilité de marquage des armes produites ou réparées a remporté l’adhésion d’une nette majorité de 32 répondants. Une majorité encore plus nette, 36 contre 4 d’avis contraire, a déclaré être prête à faire enregistrer ses activités auprès des autorités compétentes.
B) Détenteurs
- Tous les détenteurs d’armes artisanales interrogés ont affirmé ne posséder qu’une seule arme de ce type. Un seul a déclaré posséder également une arme industrielle, apparemment une arme de guerre.
- La moyenne d’âge des détenteurs est de 42 ans et ils posséderaient leur arme, en moyenne, depuis 6 ans. Moins d’un quart d’entre eux ont dit que leur possession d’armes relevait d’une tradition.
- Une forte majorité, de 29 détenteurs sur 33 interrogés, a déclaré être en possession d’un baïkal, arme de chasse de calibre 12 de fabrication locale, inspiré de l’arme éponyme de fabrication russe. Si une majorité a dit avoir acheté son arme auprès d’un producteur ou d’un intermédiaire, un petit cinquième l’a reçu en héritage ou en dot.
- Le prix du baïkal ne semble pas dépasser 100 USD, bien que l’usage du troc comme moyen d’acquisition semble prépondérant.
- Tous les détenteurs ont déclaré avoir acquis leur arme pour la chasse, sauf l’unique possesseur d’un pistolet qui l’a acheté pour sa protection personnelle.
- Dans tous les cas, y compris le pistolet, ces armes utilisent des cartouches 00 de calibre 12, facilement disponibles pour une forte majorité de répondants. Selon plus d’un quart d’entre eux, elles proviendraient généralement de la République du Congo, la ville de Pointe-Noire étant citée plusieurs fois. Elles seraient vendues entre 1,44 et 1,67 USD la pièce et semblent moins chères dans le nord de la province.
- Dans leur quasi-totalité, les détenteurs du Maniema se sont dits ignorants des lois concernant le port et l’utilisation de leur arme, mais se sont déclarés prêts à demander une autorisation. C) Responsables de la sécurité
- Le nombre d’armes saisies ces deux dernières années est généralement faible, sauf dans le territoire de Punia, où une augmentation marquée a été constatée, peut-être à cause de la recrudescence d’activité de groupes armés. Partout, sauf à Kindu, toutes les armes saisies étaient de fabrication artisanale.
- La plupart des saisies ont été ordonnées car le détenteur n’avait pas d’autorisation de port ou d’utilisation d’arme, sans qu’il n’ait nécessairement troublé l’ordre public. Des violations à la loi sur la chasse, interdite dans tous les cas pendant la saison sèche, ont également justifié certaines saisies.
D) Responsables de la santé
- En moyenne, les établissements dont des responsables médicaux ont été interrogés ont soigné ces deux dernières années une dizaine de blessés par arme à feu, par arme artisanale généralement, sauf à Kindu.
- Ces chiffres seraient généralement en baisse, sauf dans le territoire de Punia.
- Selon divers témoignages, un nombre substantiel de blessés par arme craindrait de recourir à des centres de soins officiels. E) Responsables traditionnels
- Selon une petite majorité des chefs coutumiers interrogés, ni la production d’armes à feu, ni leur port, ni leur utilisation ne font partie des traditions locales. Les armes à feu semblent avoir fait leur apparition au Maniema pendant la période arabe, antérieure à l’ère coloniale.
- Ceux qui considèrent la détention d’arme comme partie intégrante de leurs traditions se limitent au fusil de chasse, en particulier de fabrication artisanale. Les usages admis par les traditions seraient avant tout la chasse, mais aussi la défense et la marque de richesse ou de prestige.
- Une proportion substantielle, mais variable d’une région à l’autre, de la population adulte et mâle détiendrait des armes à feu. L’âge et les conditions d’accès aux armes varient fortement selon les régions.
- La quasi-totalité des chefs a estimé que les armes de leurs sujets n’étaient jamais utilisées à mauvais escient, mais s’est dite néanmoins favorable à l’enregistrement des détenteurs.
CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS
De nombreux points communs entre le Bandundu et le Maniema…
♦ Dans les deux provinces étudiées, la plupart des producteurs et réparateurs d’armes à feu artisanales en majorité des forgerons, profession souvent transmise de père en fils tirent la plus grosse partie de leurs revenus d’activités n’ayant aucun lien avec les armes ou les munitions : agriculture, réparation de motos ou vélos, production d’outils ou de biens ménagers…
♦ En conséquence, le nombre d’armes produites par chaque fabriquant est assez réduit, souvent de l’ordre d’une douzaine, tout au plus quelques dizaines par an. La plupart des producteurs réparent également des armes artisanales et parfois des armes industrielles.
♦ Les armes produites sont, dans leur écrasante majorité, des fusils de chasse non automatiques. La plupart utilisent des cartouches 00, de calibre 12, facilement disponibles et provenant apparemment de Pointe-Noire, au Congo-Brazzaville. Des fusils sans cartouche, utilisant de la poudre et des plombs, mais pas de douille, sont également produits dans les deux provinces.
♦ Si la majorité des armes en circulation au Bandundu et au Maniema est de fabrication artisanale, une certaine prolifération d’armes industrielles a été constatée dans le nord-ouest du Bandundu (districts du Plateau et du MaïNdombe) et à Kindu, chef-lieu du Maniema.
♦ La très grande majorité des utilisateurs d’armes artisanales est constituée de chasseurs. Ils ne disposent généralement que d’une seule arme. Comme les producteurs et réparateurs, une très forte majorité de détenteurs se dit désireuse de régulariser sa situation en obtenant les autorisations nécessaires.
♦ Dans des provinces connaissant une certaine sécurité, le nombre de saisies d’armes opérées par les services de sécurité est assez faible et n’a pas l’air d’évoluer à la hausse. Alors que la plupart des armes saisies sont de fabrication artisanale, les motifs avancés pour leur confiscation ne sont pas toujours très clairs.
♦ De même, le nombre de blessés par arme artisanale et soignés dans des centres de soins des deux provinces est assez faible et semble plutôt en diminution.
♦ Selon les chefs coutumiers interrogés, une majorité de la population adulte et mâle détiendrait une arme, surtout pour la chasse, mais aussi pour des usages liés à des traditions. Tout en récusant souvent tout usage malveillant des armes dans leur circonscription, ils sont presque tous favorables à l’enregistrement de leurs détenteurs.
… mais des différences notables
♦ L’arme artisanale la plus produite et utilisée au Bandundu est le fusil de chasse dit « calibre 12 ». Au Maniema, le baïkal, copié sur le fusil industriel russe du même nom, est prédominant. L’un et l’autre utilisent des cartouches 00. L’influence arabe, notamment sur l’art de la forge et le type de certaines armes produites, est plus prononcée au Maniema qu’au Bandundu.
♦ Les fusils artisanaux semblent un peu moins chers au Maniema. De même, malgré une distance bien plus grande depuis leur site de production au Congo-Brazzaville, les cartouches 00 sont légèrement moins chères dans cette province qu’au Bandundu.
♦ Sauf dans les régions limitrophes de la République du Congo, de nombreux producteurs d’armes du Bandundu produisent également des munitions, ou des éléments de celles-ci, alors que ce phénomène est plus marginal au Maniema.
♦ Enfin, bien plus de producteurs et utilisateurs d’armes du Maniema ont admis ne pas connaître les textes légaux en vigueur qu’au Bandundu. Au Maniema uniquement, des responsables de la sécurité ont mis en avant des infractions à la loi sur la chasse pour justifier des saisies d’armes artisanales.
♦ Au Bandundu, une partie des blessés par arme serait directement acheminée dans des centres de soin de Kinshasa. Au Maniema, une partie des blessés éviterait les centres de soin par crainte de poursuites.
♦ Au Bandundu, une nette majorité de chefs coutumiers affirme que la production et l’utilisation d’armes font partie des traditions, alors que ceux du Maniema sont divisés sur la question.
Des armes utilisées avant tout pour la chasse
Comme l’ont confirmé les enquêteurs, les armes artisanales sont rarement utilisées pour commettre des attaques sur des personnes. Par rapport à d’autres provinces de RDC, la sécurité est plutôt élevée au Bandundu et au Maniema. Une partie des victimes par armes a été blessée de manière non intentionnelle, à la suite d’un accident, par exemple.
L’utilisation de loin prédominante de ces armes est donc la chasse, permettant à une partie substantielle de la population de se procurer de la viande à moindre coût. Cependant, cette activité s’apparente souvent à du braconnage, soit parce qu’elle est exercée pendant les périodes d’interdiction, soit parce qu’elle s’en prend à des espèces protégées. L’espèce la plus emblématique, l’éléphant, aurait pratiquement disparu du Bandundu, en particulier dans la partie du parc de la Salonga située dans cette province, du fait des activités de braconnage. S’ils utilisent parfois des armes artisanales de gros calibre, les braconniers souvent d’anciens membres de groupes armés, voire, à l’Est, des militaires de pays voisins – sont maintenant pourvus d’armes de guerre, plus efficaces pour la chasse aux pachydermes, ainsi que de diverses techniques modernes (hélicoptères, GPS…)49 .
Une quantification impossible
Il n’est malheureusement pas possible de chiffrer le nombre d’armes artisanales en circulation au Bandundu et au Maniema. Les réponses à ce sujet fournies par quelque deux douzaines de chefs coutumiers des deux provinces ne peuvent servir de base à une estimation, même grossière : d’une part, l’échantillon est beaucoup trop faible pour servir à des fins statistiques ; d’autre part, les réponses des chefs, variant entre 1 et 100 % de la population adulte de sexe masculin, ne permettent même pas d’esquisser une tendance.
Cependant, l’enquête menée en 2009 par le GRIP et le BICC dans l’est de la RDC , dont le Maniema, a permis d’établir que, au minimum, 78 000 armes à feu étaient en possession de civils dans cette province. Selon Hilaire Abedi, qui a à la fois participé à la présente étude sur les armes artisanales au Maniema et été un des enquêteurs de celle de 2009, environ les trois-quarts des armes à feu de la province seraient de fabrication artisanale. Autrement dit, il y aurait au moins 58 500 armes à feu artisanales au Maniema. Ce chiffre, à prendre avec de grandes précautions, donne cependant une idée de l’ampleur de la prolifération des armes artisanales dans cette province.
Quelques suggestions aux autorités de RDC
Alors qu’une nouvelle loi sur les ALPC devrait bientôt entrer en vigueur en RDC, son application risque de constituer un défi de taille pour les autorités de cet immense pays. La priorité devrait, certes, être accordée à la prolifération d’armes de guerre, particulièrement vivace à l’Est. Néanmoins, il est vital que les autres régions du pays et les autres types d’armes ne soient pas ignorés.
Il s’agit en outre de tenir compte du fait qu’une grande majorité de producteurs, réparateurs et détenteurs d’armes artisanales, bien qu’agissant dans l’illégalité en raison de l’absence de délivrance d’autorisations depuis de nombreuses années, souhaite se mettre en ordre d’un point de vue légal.
La finalité d’un régime efficient d’autorisation de production, de réparation et de port d’armes devrait être d’enregistrer le plus grand nombre d’armes et de producteurs, réparateurs et détenteurs d’armes, ainsi que de réguler ces activités. Aussi, nous nous permettons de formuler ces quelques suggestions à l’adresse des autorités de RDC.
♦ L’application de ce régime d’autorisation devrait, comme dans l’ancienne loi, être déléguée principalement aux autorités de chaque territoire, celui où le producteur ou le détenteur concerné vit ou travaille, en étroite coordination avec les autorités provinciales et nationales.
♦ Comme prévu dans la nouvelle loi, la délivrance de permis de port ou de production d’armes devrait être soumise à une taxe, ce qui pourrait non seulement fournir quelques rentrées fiscales à l’État, mais montrer que le port ou la production d’armes ne sont pas des actes anodins.
Cependant, cette taxe doit tenir compte de la modestie des revenus des contribuables, ainsi que du fait que, pour une majorité de fabricants, la production d’armes est une activité d’appoint.
♦ Comme il est matériellement impossible, faute de l’équipement nécessaire, que les armes artisanales soient, à court terme, toutes marquées et enregistrées en conformité avec les engagements internationaux de la RDC, le gouvernement devrait prévoir, à titre provisoire et dès l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, une série de prescriptions auxquelles devront se conformer les producteurs et détenteurs d’armes artisanales lorsqu’ils seront enregistrés.
♦ Les producteurs devraient être soumis à l’obligation de tenir un registre « papier », mentionnant notamment le nombre et le type d’armes produites et vendues, le nom de l’acheteur, et la date de la cession de chaque arme sortant de ses stocks. L’administration du territoire concerné pourrait, sur une base annuelle, verser ces informations dans une banque de données nationale.
♦ Les détenteurs enregistrés devraient déclarer le nombre et le type d’armes qu’ils possèdent, le nom du vendeur, ainsi que la date d’achat de chaque arme détenue. Ces informations devraient figurer sur un petit document plastifié que le détenteur devrait être en mesure d’exhiber aux agents chargés du contrôle lorsqu’il se déplace avec son arme. Les autorités de chaque territoire devraient, à cette fin, être dotées du matériel nécessaire à la confection de ce document.
♦ Cet enregistrement devrait se faire concomitamment à une vaste campagne de sensibilisation à la nouvelle loi, incluant l’appareil judiciaire et les forces de l’ordre à l’échelon local. Cette campagne pourrait être accompagnée d’une opération de désarmement volontaire des civils, visant prioritairement, mais pas uniquement, les détenteurs d’armes de guerre.
♦ Enfin, il importe de mieux contrôler l’importation et la vente de cartouches 00 en provenance de la République du Congo. Les importateurs, grossistes, transporteurs et détaillants de ces cartouches devraient être enregistrés et tenir des registres de leurs transactions. Une concertation avec les autorités de Brazzaville concernant leurs ressortissants se livrant à de telles activités serait assurément utile. Pour être efficace, la réglementation sur les armes à feu artisanales doit donc impérativement tenir compte des réalités locales et s’adapter aux moyens – modestes au regard de la taille du pays – dont dispose l’administration de la République démocratique du Congo.
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Source : Groupe de recherche et d'information sur la paix et la sécurité (GRIP)
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Date de dernière mise à jour : mardi, 23 mars 2021