- L’islam radical en République démocratique du Congo : entre mythe et manipulation
L’islam en République démocratique du Congo (RDC) n’a eu qu’une présence marginale et périphérique et a été un non sujet jusqu’à une date très récente. Le caractère ultra-minoritaire des musulmans dans un pays qui est, depuis la colonisation belge, une terre de compétition entre les diverses tendances du christianisme et leurs hybridations locales rendait impossible l’émergence d’une « question musulmane » dans cette partie du monde.
L’islam radical en RD Congo
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L’islam : une présence interstitielle
En RDC, l’islam est un héritage de la traite des esclaves. Cette religion est, en effet, entrée dans ce qui n’était pas encore le Congo au milieu XIXe siècle par l’Est. C’est à cette période que les marchands d’esclaves afro-arabes venus d’Afrique orientale ont commencé à s’aventurer vers les Grands Lacs et que ceux du Soudan ont commencé à découvrir le nord-est du Congo. Le plus célèbre de ces négriers fut Tippo Tip, un commerçant de Zanzibar proche du sultan d’Oman, qui fit fortune dans le commerce d’ivoire et d’esclaves dans le Congo oriental. Son entreprise négrière fut en quasi situation de monopole de 1884 à 1887 dans l’est du Congo avant d’être progressivement évincée par la mise en place de l’État indépendant du Congo, propriété privée du roi Léopold. Cette entreprise esclavagiste a néanmoins laissé une empreinte religieuse durable dans l’est du Congo (et plus particulièrement au Sud Kivu, au Maniema et dans la Province Orientale) et explique le terme populaire « d’arabisés » pour désigner les Congolais musulmans.
L’islam congolais est principalement d’inspiration soufi et ne constitue pas un sujet d’intérêt politique avant la décolonisation. La présence de l’islam et les signes extérieurs d’appartenance à la communauté musulmane ont été combattus depuis les premières heures de la colonisation belge. Sous couvert de lutte contre l’esclavage, l’Église catholique avec le soutien de l’administration belge a fortement œuvré contre le développement de l’islam, notamment en interdisant l’accès à l’éducation aux enfants de confession musulmane. Ignorés et stigmatisés durant la période coloniale, les musulmans congolais, principalement de Kisangani, sont entrés en politique en soutenant la lutte pour l’indépendance de Patrice Lumumba. Au début des années 1970, la communauté musulmane a été reconnue par le gouvernement et s’est dotée d’un organe de représentation officielle : la Communauté islamique du Zaïre (Comiza), l’ancêtre de l’actuelle Communauté islamique en République démocratique du Congo (Comico). Toutefois l’islam n’a qu’une présence interstitielle dans un paysage religieux dominé par le catholicisme, le protestantisme (sous presque toutes ses formes) et des églises chrétiennes syncrétiques (comme le kimbanguisme). Au XXe comme au XIXe siècle, l’islam a continué d’être une religion d’importation. En effet, aux « arabisés » qui constituent la souche historique de l’islam en RDC sont venues s’ajouter des communautés étrangères arrivées en plusieurs vagues après la décolonisation (Libanais, Indiens, etc.). La caractéristique des communautés indienne et libanaise est d’avoir une importance économique disproportionnée par rapport à leur poids démographique et d’être concentrées dans quelques villes seulement. L’installation de ces diasporas commerçantes en RDC a conduit à une diversification et une expansion urbaine de l’islam, les Indiens introduisant le culte ismaélien et les Libanais introduisant le chiisme dans un environnement majoritairement sunnite. Actuellement 10 % de la population sur l’ensemble de l’étendue du territoire est de confession musulmane en RDC et seulement 10 à 15 % d’entre eux seraient chiites.
L’islam n’a jamais joué de rôle politique en RDC. Le parlement issu des élections de 2006 comptait seulement quatre députés et trois sénateurs de confession musulmane. Mais récemment, les instances de la communauté musulmane ont fait entendre leur voix dans le cadre de la crise électorale en s’affichant ouvertement en faveur du pouvoir et en soutenant la candidature de Corneille Nangaa à la tête de la Commission électorale nationale indépendante. Et, signe des temps, le parti au pouvoir, le Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie, a aussi organisé des ateliers de réflexion sur l’islam.
Djihadisme à l’est du Congo ?
Enfants soldats islamistes/photo Nicaise Kibel’bel Oka
Depuis l’offensive des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) appuyées par la Brigade d’intervention de la Monusco (FIB) contre les ADF en 2014, la question de l’islam radical s’est invitée dans le débat sécuritaire en RDC. En effet, depuis 2015, le territoire de Béni dans la province du Nord Kivu est le théâtre de massacres en séries attribués, par les autorités locales et la mission onusienne, aux ADF. Avant les ADF, le seul groupe armé dans l’est du Congo à avoir eu une prétendue orientation musulmane fut le Parti pour l'unité et la sauvegarde de l'intégrité du Congo (PUSIC) qui opérait en Ituri dans la Province Orientale. Né de la scission d’un autre groupe armé (l’Union des patriotes congolais), le PUSIC fut créé par Yves Khawa en 2003 et faisait partie intégrante de la crise iturienne. Soutenu en son temps par Kampala, le PUSIC avait un agenda incluant principalement des revendications ethniques et foncières. Bien qu’il se soit converti à l’islam et qu’il ait, prétendument, voulu imposer, sans succès, cette religion à ses combattants, Yves Khawa était issu d’une lignée de chefs traditionnels et n’avait rien d’un musulman rigoriste. Les allégations de liens avec des organisations islamistes radicales ou terroristes viennent des liens somme toute modestes qu’il avait noués avec le régime de Kadhafi. Le PUSIC n’a pas survécu à l’arrestation de son chef en 2005. À l’inverse du PUSIC, les ADF, seul groupe armé islamiste dans l’est du Congo, ont une impressionnante longévité, un soubassement idéologique islamiste radical et font donc figure d’anomalie.
Généalogie et itinéraire d’un groupe islamiste dans l’est de la RDC
Le chef des ADF-Nalu, Jamil Mukulu, chrétien converti à l’Islam, a été frappé de sanctions des Nations Unies depuis 2011
À l’instar des groupes armés des Kivu, les ADF, résidus de l’ADF-Nalu, ont une longue histoire. L’ADF-Nalu fut un produit de la collaboration entre les services de sécurité soudanais et zaïrois dans les années 1990 contre le régime de Museveni en Ouganda. L’Armée nationale de libération de l’Ouganda (Nalu) s’inscrit dans l’histoire longue de la contestation dans l’ouest de l’Ouganda. Depuis l’indépendance de l’Ouganda en 1962, cette zone frontalière est travaillée par une velléité d’autonomie et une tradition de résistance contre le pouvoir central qui durent encore aujourd’hui. À la fin du mois de novembre 2016, une cinquantaine de personnes auraient été tuées lors d’une confrontation avec les forces de sécurité ougandaises qui ont arrêté le roi du Rwenzori à Kasese et l’ont accusé de fomenter une nouvelle rébellion. Ainsi la guérilla paysanne du Rwenzururu, qui a été active de 1962 à 1980, était animée par les ethnies bakonzo et bamba qui vivaient sur les flancs de la chaîne du Rwenzori et elle utilisait cette frontière montagneuse comme zone de repli et de protection. La Nalu fut l’héritière du Rwenzururu car bâtie en 1986 à partir des réseaux des combattants du Rwenzururu par Amon Bazira, un ancien responsable des services de renseignement du régime Oboté. En 1993, l’assassinat d’Amon Bazira a porté un coup presque fatal à son organisation dont les membres se sont repliés en RDC.
C’est à la même époque que les ADF se forment suite à l’affrontement entre des membres de la secte Tabligh (Jama'at al-tablîgh), menés par Jamil Mukulu, et la police en 1991. À leur libération, en 1993, Jamil Mukulu et ses condisciples s’installent dans l’ouest de l’Ouganda et forment, en 1994, le Mouvement des combattants ougandais pour la liberté (UFFM). Suite à la destruction de leur camp par les forces ougandaises en 1995, les UFFM se replient au Zaïre comme l’avaient fait avant eux les combattants du Rwenzururu et de la Nalu. En septembre 1995, sous le patronage des services de renseignement zaïrois et soudanais, la Nalu et les UFFM s’allient et forment un groupe armé syncrétique : ADF-Nalu.16
De 1996 à 2001, les ADF-Nalu ont mené des opérations en territoire ougandais en ayant pour base arrière la partie congolaise du Rwenzori. En réponse, les forces ougandaises lancent l’opération « Mountain sweep » qui dura de 1999 à 2001 et au terme de laquelle les ADF-Nalu sont défaits mais pas démantelés. De cette défaite à 2007, les ADF-Nalu entrent en sommeil : ils n’ont plus qu’une très faible activité opérationnelle même s’ils restent dans la ligne de mire du pouvoir ougandais. Après un ultime baroud d’honneur (une série d’attaques en territoire ougandais en 2007), les leaders historiques de la Nalu abandonnent la lutte armée et se rendent. La composante musulmane de cette rébellion (les ADF de Jamil Mukulu) se retrouve seule et l’islam devient alors la religion unique au sein des ADF qui se retirent et se réorganisent près de Oïcha dans le territoire de Béni. Les ADF imposent un contrôle sur leur territoire en le rendant inaccessible et tissent un large réseau mafieux basé sur le racket au sein de la population civile.
Bien qu’affaiblis, les ADF continuent à être mis sous pression militaire en raison de leurs liens présumés avec un autre mouvement islamiste très actif mais lointain, les Shebaab qui combattent en Somalie et organisent des attentats au Kenya et en Ouganda. Les opérations militaires anti-ADF se succèdent sans succès jusqu’en 2014. En 2010, l’armée congolaise (FARDC) lance l’opération « Rwenzori » contre les bastions des ADF, sans grand succès, puis en 2012 elle lance l’opération « Radi Strike ». Dans l’enthousiasme de la victoire contre un autre groupe armé du Nord-Kivu, le M23, l’armée congolaise et la MONUSCO envisagent de neutraliser les ADF qui ont un regain d’activité pendant la seconde moitié de 2013. Les ADF ont attaqué cette année-là de nombreux villages, ce qui a amené plus de 66 000 personnes à s’enfuir en Ouganda. Ces attaques ont dépeuplé une vaste zone, que les ADF contrôlent en enlevant ou en tuant les personnes qui retournent dans leurs villages. Entre juillet et septembre 2013, les ADF ont décapité au moins cinq personnes dans la région de Kamango, en ont tué plusieurs autres et en ont enlevé des dizaines.
À partir de janvier 2014 les FARDC, aidés par la brigade d’intervention de la MONUSCO, se lancent à l’assaut des positions des ADF et s’emparent de leurs principaux camps en juillet 2014. Les combattants ADF se scindent en plusieurs groupes et se replient dans la forêt au nord de Beni, entre Mambassa et Opienge dans la province Orientale. Après l’offensive des FARDC et de la FIB, les ADF sont réduits à une centaine de combattants, femmes et enfants inclus, et leur chef charismatique, Jamil Mukulu, est arrêté le 20 avril 2015 en Tanzanie.
Mais ce qui est alors considéré comme une victoire définitive n’est en réalité qu’un repli stratégique des ADF qui ne sont toujours pas neutralisés. En effet, loin de perdre leur capacité de nuisance, les ADF changent de tactique et de stature. De groupe armé résilient mais ordinaire, caché dans un massif montagneux, ils deviennent une milice de terreur, évolution ébauchée dès 2013. À partir d’octobre 2014, ils se livrent à des attaques contre les villageois, n’hésitant pas à massacrer femmes et enfants à l’arme blanche. La vague de massacres de civils qui a débuté en octobre 2014 et continue toujours dans la région de Beni leur est attribuée. L’arrestation de Jamil Mukulu en 2015 n’a pas brisé l’activisme des ADF, bien au contraire. Les ADF évitent l’affrontement avec l’armée congolaise et commettent des tueries en apparence gratuites contre la population civile. Au début du mois de juillet 2016, ils s’infiltrent dans la localité d’Oïcha et tuent neuf personnes dont cinq femmes, puis récidivent début août en tuant 51 personnes en une seule attaque20. Human Rights Watch estime à près de 700 le nombre des victimes civiles de ces attaques depuis deux ans mais les estimations des ONG congolaises sont proches de 1 200 victimes.
Les ADF : implantation de la nébuleuse islamiste radicale au cœur de l’Afrique centrale ?
Très tôt les ADF ont été soupçonnés d’être liés à l’islamisme radical international. En raison des liens entre les ADF et Khartoum, dès 1998, le gouvernement ougandais a accusé les ADF d’avoir des liens avec Al Qaeda. Jamil Mukulu est même soupçonné d’avoir été entraîné dans des camps au Pakistan, ce qui n’a jamais pu être formellement vérifié. Kampala a ensuite accusé les ADF d’avoir des liens avec les Shebaab en Somalie, notamment après l’attentat meurtrier lors de la coupe du monde en 2010. Cette thèse est largement alimentée par les services de sécurité ougandais depuis l’engagement de Kampala en Somalie dans le cadre de la mission de maintien de la paix de l’Union Africaine (AMISOM). Les autorités gouvernementales congolaises font écho à la thèse du lien entre les Shebaab et les ADF promue par Kampala et ont signalé à plusieurs reprises la présence de Somali dans les rangs des ADF. Le 19 août 2016, le porteparole du gouvernement fait une déclaration mettant l’accent sur le caractère non-congolais des combattants ADF arrêtés.
Si des contacts avérés avec des organisations musulmanes radicales kenyanes sont découverts lors de l’arrestation d’un des fils de Jamil Mukulu à Nairobi, en revanche aucun lien formel avec les Shebaab n’est attesté. La prise par les FARDC du camp ADF de Medina et l’exploitation des documents trouvés par le groupe des experts des Nations unies démontrent l’absence de liens objectifs entre ce groupe armé et les Shebaab. La presse prête aussi aux ADF des liens avec Daech et Boko Haram mais sans aucune base factuelle.
Le mystère ADF : un groupe armé hybride ou un groupe armé prétexte ?
Les ADF-Nalu disposent d’armes telles que des mortiers, des mitrailleuses et des grenades à tube
Les ADF interrogent à plusieurs titres. Ils sont le groupe armé le plus méconnu de l’Est congolais et en même temps l’un des plus anciens. Leur profil et leur stratégie sont atypiques et leur identité demeure mystérieuse. En effet, depuis l’arrestation de Jamil Mukulu, les ADF n’ont plus de leader connu. Ils font donc figure de rébellion sans chef charismatique à l’inverse des groupes islamistes et des groupes armés historiques des Kivu qui ont tous des leaders connus.
Le profil des ADF en tant que groupe armé islamiste est paradoxal. D’une part, les ADF ne communiquent pas : ils ne font pas de propagande islamiste par des vidéos ou par internet et ne participent pas à la « djihadosphère » contrairement aux Shebaab et autres groupes islamistes. D’autre part, leur islamisme est très discret, voire évanescent. Loin de mettre en avant les symboles du djihad et du salafisme, ils ne se décrivent pas comme les défenseurs de la « vraie foi musulmane » face aux apostats et aux mécréants, semblent superficiellement islamisés et se livrent même à des danses sur certaines vidéos. Leurs cibles sont aussi inhabituelles pour un groupe armé islamiste : ils ne prétendent pas créer un califat dans les Grands Lacs, ne mènent plus d’attaques en Ouganda depuis plusieurs années, ne ciblent pas vraiment l’armée congolaise et encore moins des leaders religieux chrétiens ou musulmans. Ils se contentent d’interdire l’accès de certaines zones de la frontière congolo-ougandaise à la population et de maintenir leur sanctuaire territorial en revendiquant des terres que leur auraient données Mobutu lors de la création des ADFNalu. Paradoxalement, leur politique de terreur contre les villageois et leur mode opératoire (interdiction de pénétrer dans certaines zones, usage d’enfants soldats, atrocités à la machette, etc.) les rapprochent davantage de l’Armée de résistance du Seigneur que des groupes armés islamistes. Si cet atypisme peut être considéré comme la conséquence d’une hybridation locale d’un islamisme en provenance d’Afrique de l’Est, cette thèse ne suffit pas à expliquer la rationalité stratégique complètement différente des ADF par rapport aux autres groupes islamistes.
Par ailleurs, le comportement de l’armée congolaise face à la vague de tueries de Béni est éminemment suspect. Aussi bien les parlementaires congolais que le bureau des droits de l’Homme des Nations unies au Congo mettent en doute la version officielle de la responsabilité des ADF dans plusieurs massacres et pointe des responsabilités au sein de l’armée congolaise. Dès novembre 2014, la commission parlementaire envoyée pour enquêter sur les massacres dans la région de Beni souligne que le plan de protection des civils élaboré par le général Champion de la MONUSCO n’a pas fonctionné. Plus troublant encore, certains officiers congolais auraient interdit à leurs hommes de porter secours aux populations durant les massacres ou auraient sciemment attendu plusieurs heures après les massacres pour envoyer des secours. Les régiments 808, 809, 905 et 1006 seraient impliqués dans les massacres de Tenambo-Mamiki, de Ngadi, et de Mayangose en 2014 et 2015. Alors que les ADF sont une priorité de sécurité, le manque de réactivité de l’armée congolaise se répète lors du massacre d’août 2016. Une fois encore, le réseau d’alerte précoce mis en place par les Nations unies n’a pas fonctionné. Des témoignages au sein de la société civile indiquent que des officiers de l’armée et de la police congolaise auraient intimé l’ordre aux relais civils de ce système d’alerte précoce de ne pas l’utiliser en cas d’attaque. Ces témoignages mettent aussi en évidence des complicités entre les ADF et certaines unités de l’armée congolaise à tel point que la société civile locale parle « d’ADFFARDC ». À ce titre, il convient de rappeler que le meurtre du « héros » de la lutte contre le M23, le colonel Mamadou Ndala, en janvier 2014 est considéré comme un règlement de comptes entre militaires congolais maquillé en embuscade des ADF. Le mystère des ADF semble s’inscrire dans la longue tradition de complicité et d’instrumentalisation des groupes armés dans l’est de la RDC par le commandement de l’armée congolaise.
Si le gouvernement et la MONUSCO continuent d’imputer aux seuls ADF la responsabilité des massacres qui endeuillent la région de Beni et de décrire ce mouvement comme un groupe de fanatiques islamistes ougandais, cette lecture est de plus en plus contestée. Dès 2012, l’International Crisis Group insistait sur la congolisation des combattants ADF, remettait en cause l’existence d’une coopération directe avec les Shebaab et soulignait que « le gouvernement ougandais instrumentalise la menace terroriste à des fins intérieures et extérieures ». Au début 2016, le Groupe d'étude sur le Congo de l'université de New York estimait qu’outre les ADF, des membres de groupes armés locaux (notamment d’anciens du Rassemblement congolais pour la démocratie – Kisangani/mouvement de libération et d’anciens membres du CNDP/M23) et des FARDC portaient une part très importante de responsabilité dans ces tueries. À ces voix dissonantes s’ajoute celle des autorités locales. En effet, selon le maire de Béni, Bwanakawa Nyonyi, les massacres sont le fait d'une « nébuleuse » derrière laquelle se cachent « des mains politiques congolaises »41 – une opinion partagée par de nombreuses organisations locales de la société civile.
L’impact du « mystère ADF » dépasse largement la zone de Beni et les Kivu et est devenu un symbole national de l’insécurité des populations en RDC. Alors que chaque tuerie accroît la suspicion d’instrumentalisation des ADF et démontre l’inefficacité des casques bleus, le gouvernement continue d’éluder le problème. Il insiste sur le caractère islamiste des ADF et fait condamner deux imams mais il ne fournit pas de moyens sécuritaires suffisants, comme l’atteste le scandale du détournement des fonds alloués aux policiers de Beni. Le mécontentement atteint son comble dans la population locale qui demande une enquête internationale pour déterminer les responsables de ces tueries à répétition et exprime ouvertement son ras-le-bol du gouvernement et de la MONUSCO.
Les prémices d’une radicalisation religieuse dans les Kivu
L’effet direct du « problème ADF » est une stigmatisation naissante de l’islam dans les Kivu qui est déjà ressentie par la communauté musulmane congolaise. Tant au Nord qu’au Sud Kivu, la présence de l’islam est de plus en plus décriée. Au Nord Kivu, en réaction aux ADF, des groupes armés à dénominations chrétiennes font leur apparition en recyclant des combattants mayi-mayi tandis qu’au Sud Kivu la prolifération des mosquées est dénoncée par la société civile.
Premiers mouvements d’auto-défense religieux au Nord Kivu
Selon un scénario bien rodé dans les Kivu, l’incapacité de protéger les populations donne lieu à des réflexes collectifs d’auto-défense grandement facilités par la prolifération et l’enracinement des groupes armés dans les Kivu depuis 20 ans. Ainsi une milice sectaire locale appelée « Corps du Christ de Carmel », vraisemblablement affiliée aux May-Mayi Mazembe, s’est formée à Butembo durant le mois d’octobre 2016. Cette milice, dirigée par le pasteur David Murata et dont le nom vient de la colline du Mont Carmel près de Butembo, a pour « raison sociale » la lutte contre les ADF – ses membres déclarant être en route pour Beni afin de « combattre les égorgeurs ». Selon des tracts trouvés à Butembo, cette milice serait dirigée par le « général » Baraka, un enfant soldat promu général de façon héréditaire à 12 ans en 2008. Cette secte qui était composée de combattants mayi-mayi s’est rapidement heurtée à l’armée et a été chassée de la colline du Mont Carmel au début du mois de novembre mais ces miliciens se sont dispersés en zone rurale. Avant cette nouvelle milice/secte, les Forces œcuméniques pour la libération du Congo (FOLC) avaient amorcé ce virage religieux anti-ADF. À Beni où la psychose des ADF atteint son apogée, la population civile évoque aussi la nécessité d’une force de défense communautaire face à l’inefficacité des services de sécurité nationaux et de la MONUSCO.
Prolifération des mosquées au Sud Kivu : fantasme populaire ou réalité ?
Depuis près d’une décennie, la société civile congolaise et plus particulièrement du Sud Kivu dénonce le développement de l’islam aux abords des cantonnements onusiens. Au Sud Kivu, l’accroissement de la visibilité de la confession musulmane est principalement associé aux troupes pakistanaises de la MONUSCO qui sont stationnées dans cette province depuis plus de dix ans. La société civile locale estime que le contingent pakistanais se livre au prosélytisme – la « preuve » mise en avant étant la multiplication des lieux de culte musulman à Bukavu et dans d’autres territoires de la province (Walungu, Kalehe et Kavumu). Toutefois seule la construction de mosquées attribuée à un officier pakistanais entre 2008 et 2009 est avérée. En effet, dans le territoire de Walungu au Sud Kivu, un colonel de l’armée pakistanaise a fait construire six mosquées sur ses fonds propres. Bien qu’insuffisant pour en conclure que le contingent pakistanais de la MONUSCO est un vecteur de prosélytisme au Sud-Kivu, cet exemple confirmé impose de questionner l’action de certains militaires pakistanais ainsi que l’origine de ces fonds propres. Pour autant si l’activisme religieux de cet officier de l’armée pakistanaise interroge, il n’y a aucune indication sur la pratique ou la promotion d’un islam radical.
L’empreinte du Hezbollah
Depuis le début des années 90, l’empreinte du Hezbollah apparaît en RDC à travers les activités commerciales de certains membres de la communauté libanaise de Kinshasa. L’existence de réseaux souterrains financiers du Hezbollah n’est pas spécifique à la RDC mais s’inscrit dans le cadre plus vaste des activités financières du Hezbollah en Afrique et ailleurs. Une filière libanaise dans le diamant a commencé à s’implanter véritablement en RDC à l’époque où le régime Mobutu faisait office de plate-forme commerciale pour l’UNITA. Par ailleurs, la filière diamantaire libanaise s’est renforcée à Kinshasa avec l’arrivée de diamantaires libanais chassés de la Sierra Leone et du Liberia par la guerre civile. Forcés de se mettre à l’abri, ils ont pris pieds en RDC pour y reprendre les mêmes activités.
À partir de la RDC, plusieurs hommes d’affaires libanais ont joué un rôle remarqué dans le commerce « armes contre diamants » qui a permis la survie de la rébellion angolaise avant et après l’embargo onusien de 1998. Cette « Lebanese connexion » faisait partie du réseau international d’affaires qui gravitait autour de l’UNITA et a été décrit dans le célèbre rapport Fowler. Elle n’était pas seulement formée par des entrepreneurs individuels « free lance » mais aussi par des commerçants chiites libanais en contact avec le Hezbollah et le mouvement AMAL. La RDC et d’autres pays ont servi de plate-forme pour le commerce opaque et illégal des armes et de diamants qui faisait vivre l’UNITA. Grâce à des complicités au sein du pouvoir mobutiste, des hommes d’affaires libanais ont créé des sociétés pour écouler la production de diamants contrôlée par l’UNITA. Les noms qui reviennent le plus fréquemment dans la filière libanaise de l’UNITA sont Aziz Nassour, un commerçant de diamants libanais soupçonné d’être proche du groupe armé AMAL, Ahmad Ali Ahmad, un diamantaire libanais installé à Kinshasa soupçonné d’avoir été impliqué dans le blanchiment d’argent pour le mouvement libanais AMAL, Imad Bakri qui entretenait des relations avec le général zaïrois Nzimbi Wale Kongo de la division spéciale présidentielle, et le général Jacinto Bandua de l’UNITA, et la famille Khanafer. Cette dernière entretenait des relations d’affaires étroites avec des barons du mobutisme déclinant et a aussi été identifiée comme un des relais des collectes de fonds du Hezbollah en Afrique de l’Ouest. Proche de Mobutu et des réseaux de trafic de diamants libanais, la famille Khanafer était impliquée dans la fabrication de fausse monnaie avec les familles Ahmad et Nassour. La fin du mobutisme et le régime chaotique de Laurent Désiré Kabila ont été synonymes d’une criminalisation accentuée de l’économie et de l’Etat congolais et plusieurs entreprises libanaises ont prospéré dans un climat des affaires délétère caractérisé par une forte dépréciation du franc congolais. La contrefaçon de monnaie et les trafics de diamants ont atteint à cette époque leur apogée alors que les milieux libanais de Kinshasa n’ont eu aucun mal à faire la transition du mobutisme au régime de Laurent Désiré Kabila. En effet, la vague d’expulsions d’hommes d’affaires libanais par le premier ministre Kengo à la fin du mobutisme a été éphémère et la plupart d’entre eux sont revenus après la chute de Mobutu.
En revanche, les milieux libanais du diamant à Kinshasa ont été mis à l’index lors du meurtre de Laurent Désiré Kabila en 2001. Ce meurtre mystérieux est intervenu dans un contexte de rivalités féroces dans un secteur diamantaire sans contrôle et après que Laurent Désiré Kabila ait octroyé le monopole du commerce de diamants à la société israélienne IDI et Dan Gertler. Plusieurs commerçants libanais installés à Kinshasa furent arrêtés après son meurtre dont le frère de Imad Bakri, Yousef Bakri64. Leur sort demeure un mystère jusqu’à ce jour. Pour autant, les commerçants libanais ont su faire preuve de résilience : ils font toujours partie des principaux opérateurs économiques de Kinshasa et certains d’entre eux sont toujours considérés comme des financeurs du Hezbollah.
Ainsi, en 2010, le Trésor américain a annoncé publiquement l’implication des frères Tajideen dans le financement du Hezbollah et pris des sanctions contre leurs opérations économiques. Les autorités américaines estiment que le réseau d’entreprises qui leur appartient en Gambie, Sierra Leone, Angola, Liban, Iles Vierges Britanniques et RDC a généré des millions de dollars pour le Hezbollah. EN RDC, leur société Congo Futur se spécialise dans le commerce alimentaire et le diamant. Installés de longue date au Congo, les frères Tajideen avaient un comptoir de diamants à Kisangani à l’époque de Laurent-Désiré Kabila. En quelques années, Congo Futur est devenu une des sociétés les plus actives de Kinshasa et contrôle de nombreux commerces dont une société d’import-export avec la Belgique, des supermarchés et un imposant parc immobilier dont l’immeuble Future Tower dans le quartier de la Gombe. En 2012, un des frères Tajideen a diversifié ses activités en se lançant dans le commerce du bois via la société Trans-M qui est considérée comme une filiale de Congo Futur et qui a obtenu des concessions forestières du gouvernement. Par ailleurs, de fortes suspicions pèsent sur certains établissements bancaires de Kinshasa qui appartiennent en totalité ou en partie seulement à des hommes d’affaires libanais. Les régimes congolais passent mais les réseaux financiers du Hezbollah restent.
Le fantasme de Daech
Effet de l’air du temps, certains voient l’ombre de Daech en RDC et des traces de radicalisme islamiste apparaissent sur internet. Une critique politique et historique de l’islam congolais apparaît sur la page de l’Organisation musulmane de la République démocratique du Congo sur Facebook. Sur cette page, l’auteur réécrit l’histoire et date la pénétration de l’islam en RDC au XVe siècle, dans l’empire Kongo à l’ouest du pays. Il y est fait une critique sévère de « l’islam et de son histoire officielle » en RDC. Les symboles de l’islam radical liés à la lutte palestinienne sont aussi présents et réappropriés. S’y trouvent aussi des discours violents contre l’interdiction du port du voile en France et des attaques contre des figures de l’État français.
Par ailleurs, le président de la Communauté islamique du Burundi a récemment déclaré que de jeunes burundais sont embrigadés par l’État islamique et reçoivent une formation militaire en RDC. Cette déclaration doit être replacée dans le contexte du régime burundais qui est engagé dans un bras de fer avec l’Union européenne sur la participation de l’armée burundaise à la mission AMISOM en Somalie et qui est confronté à la présence de groupes armés d’opposition au Sud-Kivu n’ayant rien à voir avec Daech mais tout à voir avec la crise politico-sécuritaire du Burundi. Par ailleurs, l’accusation de radicalisme islamiste n’est pas une nouveauté dans le champ politique burundais.
Conclusion : L’islam radical dans les Grands Lacs : une menace utile
En RDC, l’islam radical oscille entre manipulation et mythe. Le seul groupe armé islamiste visible, les ADF, n’a plus de liens avec le gouvernement soudanais et n’a pas de lien démontré avec les Shebab. Les ADF ne sont pas dans une logique de recrutement de croyants et d’expansion d’un califat mais dans une logique de sanctuarisation territoriale et ce groupe présente une version très tropicalisée de l’islamisme radical. Moins visible mais enraciné dans le tissu économique, le Hezbollah a fait de la RDC un des éléments de son réseau financier en Afrique. Si la RDC entretient de longue date des relations avérées avec certains groupes terroristes islamistes, cela n’implique pas le développement d’un islam radical bien au contraire. En attirant l’attention, le développement de ce dernier risquerait d’être préjudiciable aux activités financières du Hezbollah.
Toutefois, la menace de l’islamisme tropical va continuer à être brandie dans la région. Au Rwanda, le gouvernement a annoncé le démantèlement d’une cellule terroriste. En Ouganda où la menace de l’islam radical est réelle et d’actualité, les poursuites judiciaires contre des imams se multiplient. Et au Burundi le président de la communauté musulmane agite maintenant le spectre de Daech. L’islam radical est devenu un outil pratique pour les régimes dictatoriaux qui ont besoin de justifier leur répression interne et de s’attirer les bonnes grâces des puissances du Nord.
Source : Institut français des relations internationales (IFRI)
Thierry Vircoulon
Observatoire de l’Afrique australe et des Grands Lacs
Note réalisée par l’Ifri au profit de la Direction générale des relations internationales et de la stratégie du ministère de la Défense
Il se développe un islam radical dans la région de Béni (RD Congo), n’en déplaise à la Monusco et à certains spécialistes des Grands Lacs
Fin décembre 2016, Nicaise Kibel’bel Oka, journaliste d’investigation congolais, a publié un livre au titre bien évocateur : « L’avènement du Jihad en RD Congo. Un terrorisme islamiste ADF mal connu« . Le contenu du livre ne laisse pas indifférent certains spécialistes de la région des Grands Lacs, dont Thierry Vircoulon. Ci-après la réaction de l’auteur sur l’interview de ce dernier, passée sur RFI le 11 février 2017.
« Mon cher Thierry Vircoulon,
Thierry Vircoulon/photo rfi
Je viens de vous suivre sur RFI ce matin de samedi 11 février 2017 comme invité sur le dossier du terrorisme à Beni (RD Congo). J’ai été
déçu. Permettez-moi amicalement que je dise un mot sur votre interview.
- Il n’y a aucun sentiment islamophobe en RD Congo et surtout pas à l’est du pays. Ce n’est pas parce que les Pakistanais construisent des mosquées au Sud-Kivu que la population congolaise développerait un sentiment islamophobe. La construction de nombreuses mosquées par des étrangers dont le contingent indien de la Monusco devrait vous interpeller, vous qui avez fait une étude remarquable sur les 17 ans de la présence de la Monusco au Congo. D’où leur vient le financement ? En islam, l’aumône en dur, le « Zakat » est recommandée pour aller au paradis. Ce qui justifie le financement de la construction des mosquées et des ADF en provenance de la Grande Bretagne, de la Turquie et de l’Arabie saoudite.
- La milice Maï-Maï « Corps du Christ » n’a pas été montée pour combattre les ADF au nom du Christ comme vous l’avez déclaré, autrement elle n’allait pas s’attaquer à la Monusco à Butembo et la Police nationale tuant un casque bleu et égorgeant deux policiers congolais. C’est trop simpliste cette façon de voir le Congo. Ne tombez pas dans des affirmations gratuites pour justifier un sentiment islamophobe quelconque au Congo. Il n’existe pas à ce moment.
- La Communauté islamique du Congo (COMICO) est infiltrée et est impuissante face à la montée de l’islamisme radical notamment avec la construction des « mosquées centres d’accueil » servant au recrutement pour la formation au jihad. Des imans reconnus et appartenant à la COMICO le déclarent et le regrettent. Ils sont impuissants et ne peuvent rien. Par peur d’être tués et au nom d’une certaine fraternité de l’Oumma.
- Selon vous (et vous adoptez la posture des Nations-Unies), il n’y a pas de terrorisme dans la région de Beni car les ADF ne revendiquent pas leurs actes sur les réseaux internet. Mais c’est grave. Qu’est-ce qui est important selon vous, les massacres ou les revendications ? Nous sommes dans un pays, la RD Congo, où on fait état de près de 6 millions de morts depuis les années 1990. Et cela n’émeut personne. Les ADF ont massacré plus de 800 civils à Beni et les Fardc ont perdu près de mille militaires dans une opération militaire qui dure déjà 3 ans. Vous dites qu’il n’y a rien parce que les ADF ne revendiquent pas leurs actes barbares ?
- 5. Comment nommez-vous les massacres des « nègres » à Beni ? Horreur ? Barbarie ? Est-on dans une soirée dansante ? Ces tueries dans cette manière atroce ne sont-elles pas un message que les terroristes transmettent à la communauté internationale ? Voulez-vous qu’ils le fassent par écrit ? Vous ne l’admettrez que le jour où ils vont kidnapper un Occidental comme au Mali ou au Niger ?
- 6. Vous restez jusqu’à ce jour à soutenir que les ADF, ce sont des Ougandais dans une guerre de près de 20 ans et qu’ils sont « congolisés ». Menez vos enquêtes avec objectivité et vous découvrirez que les ADF ne sont pas des Ougandais mais se recrutent parmi les Tanzaniens, les Burundais, les Kenyans, les Soudanais, les Rwandais, les Somaliens, les Ougandais et les Congolais. Tous liés par l’enseignement rigoriste du Coran et du jihad. Le terme ADF qu’on utilise abusivement en lieu et place de « Muslim Defence International » n’a aucune territorialité pour qu’on reste figé à le coller à l’Ouganda. Leur silence a été une stratégie de mieux s’installer et d’installer leur « base » loin des regards et profitant de la faiblesse (faillite) de l’Etat congolais.
- 7. Vous ne prenez pas en compte l’importance du rôle qu’a joué le Soudan dans la radicalisation de l’islam dans cette région du Congo. Alors que c’est dans la corne de l’Afrique que l’influence jihadiste s’est le plus rapidement manifestée grâce à l’appui fourni, comme le signale et le reconnaît Gérard Chialand[1], par Hassan Al Tourabi, au début des années 1990, à une dizaine d’organisations radicales d’Erythrée, d’Ouganda et de Somalie.
- 8. Al Qa’ida[2] s’est construit au Soudan et en Afghanistan. Ben Laden et Zawahiri y ont séjourné de 1992 à 1996 avant qu’ils ne soient déclarés « persona non grata » sur demande des Américains après l’attentat manqué contre Hosni Moubarak, alors président de l’Egypte[3].
- 9. Hussein Mohammad Jamil Mukulu a séjourné dans ce pays au même moment qu’Oussama Ben Laden et Zawahiri. Il y a reçu des
enfants soldats islamistes/photo Nicaise Kibel’bel Oka
enseignements de ces trois grands du jihad, Ben Laden, Zawahiri et Hassan al Tourabi. Si les disciples de Ben Laden sont dangereux et désignés comme des « terroristes » ailleurs, pourquoi ne pas le faire en RD Congo ? Lorsqu’on a été formé par le sommet de l’intégrisme et qu’on les a côtoyés, naturellement on applique les préceptes des maîtres. N’en doutez plus.
- 10. En RD Congo, bénéficiant d’une nature luxuriante et impénétrable, les forêts du Mont Ruwenzori – Parc national des Virunga, Hussein Mohammad Jamil Mukulu y a installé sa « base » qu’on appelle « Madina », Q.G. des islamistes ADF récupéré depuis par les militaires Fardc. Il faut interroger les rescapés et visualiser les images dudit camp lors de l’assaut des Fardc pour comprendre le châtiment cruel exercé sur ceux qui y habitaient (allant des coups de fouet, crucifixion, lapidation, mort par pendaison et surtout ce cahot en forme d’armoire à clou). Je suis disposé à vous les envoyer si vous en manifestez le désir à la seule condition que vous les publiiez.
- 11. Lorsque vous citez Al Qa’ida donnant l’exemple du Mali ou d’ailleurs jugeant impossible qu’il soit aussi sur le sol congolais, vous feignez d’oublier que le terme al Qa’ida est une métonymie qui désigne simplement un Rassemblement d’islamistes radicaux s’entraînant dans un même lieu au jihad. Donc c’est aussi la métaphore de cette base dispersée à la surface du globe (à l’exemple de Madina dans le Ruwenzori-Beni/ RD Congo), maintenue par des liens, un microcosme de l’Oumma où se retrouvent des « frères en islam.»
- 12. Les ADF, meux la Muslim Defence International, tirent leur origine de la secte Tabliq d’origine pakistanaise installée en Tanzanie dans les années 1940. Vous comprenez au moins pourquoi les Pakistanais de la Monusco construisent des mosquées au Sud-Kivu. Vous comprenez aussi pourquoi Hussein Mohammad Jamil Mukulu a été arrêté à la frontière avec la Tanzanie. Cette secte possède une capacité impressionnante d’endoctrinement des adeptes[4]. Ses prêches ciblent les populations marginalisées des quartiers défavorisés pour ramener ces populations dans le « droit chemin » et les enfermer ensuite dans un véritable carcan mental « abêtissant » selon l’expression du rappeur Abdel Malek qui fut adepte de cette secte et qui l’a quittée. Pourquoi vous ne prenez pas la mesure du danger quand il s’agit des populations de la RD Congo ? Hussein Mohammad Jamil Mukulu serait-il un simple touriste dans les forêts de Beni ?
- 13. Dites-nous cher Thierry, selon vous, comment les ADF se ravitaillent-ils en armes et munitions ? Voici la réponse. En 2004, les combattants ADF partent en formation en Somalie et participent aux côtés des Shebaab à des positions d’attaque des troupes éthiopiennes à la frontière Somalie/Ethiopie. En 2005, naît un réseau clandestin de trafic d’armes entre Baïdowa (Somalie) et Beni (RD Congo) suivant l’itinéraire Baïdowa (Somalie) – Garissa (Kenya) – Busia – Kasese – Mpondwe (Ouganda) – Kasindi – Beni (RD Congo. Ils coopèrent en même temps avec les rebelles Janjawid à la frontière du Darfour au Soudan/
- 14. Le procès contre les ADF se déroule présentement à Beni. Lors de l’audience publique du vendredi 10 février 2017, l’imam Amuli Banza Souleymane (qui a perdu l’œil droit au combat contre les Fardc) raconte avec fierté comment il a dû abandonner sa chaire à la mosquée de Katindo à Goma pour rejoindre avec toute sa famille la base de Madina en forêt. Il le dit : « c’est une vie meilleure que j’ai vécu à Madina par rapport à ma vie antérieure à Goma.» Lorsqu’il est reçu au QG de Madina, on lui dit ceci : « nous sommes des musulmans. De là d’où tu viens, tu n’étais pas un vrai musulman. Tu apprends le coran aux gens alors que tu ne sais pas l’appliquer toi-même. Que dit le coran quand quelqu’un vole un bien d’autrui ? On lui coupe la main. As-tu déjà coupé combien de mains de voleurs ? Or, le coran le recommande. Ici, nous le pratiquons et tu le vivras.»[5]
- 15. Bref, il y a bel et bien du terrorisme islamiste des ADF en RD Congo. Certes, il est mal connu des Occidentaux. Par mauvaise foi surtout. C’est pourquoi, au nom de nos relations en tant qu’experts, je vous avais recommandé avec Marc-André Lagrange, de lire mon récent ouvrage publié aux Editions Scribe/Bruxelles au titre révélateur « L’avènement du jihad en RD Congo. Un terrorisme islamiste ADF mal connu ». J’avais même envoyé à Marc-André Lagrange avec qui vous travaillez sur la RD Congo la page de couverture et je comprends pourquoi vous avez déclaré sur RFI « … des vidéos de quelques femmes en tenues musulmane… ».
femmes islamistes/photo Nicaise Kibel’bel Oka
Je suis prêt à vous l’envoyer si vous ne l’avez pas et à partager avec vous nos investigations.
Vous ne m’en voudrez pas à travers cette note qui rétablit certaines vérités que vous connaissez mais que vous ne voulez pas dire à haute voix. Ne faites pas comme notre ami Jasons Stean du GEC (Groupe d’Etudes sur le Congo) qui s’est laissé manipuler dans son rapport sur les massacres de Beni où le personnel de la Monusco qui, pour des raisons qui leur sont propres, refusent de reconnaître le phénomène islamiste. Ce qui leur permet de rester dans la durée même alors que leur inefficacité et leur incompétence sont avérées par tous y compris les groupes armés. Vous l’avez si bien souligné dans votre étude sur les 17 ans de la Monusco.
Je reste donc à votre disposition pour tout débat constructif au sujet du terrorisme islamiste des ADF dans la région de Beni en particulier et dont le réseau s’étend dans toute la région depuis la Somalie, le Soudan en passant par la Tanzanie et l’Ouganda jusqu’en RD Congo ».
Nicaise Kibel’Bel Oka
Directeur du journal Les Coulisses
Journaliste d’investigations et directeur du Centre d’Etudes et de Recherches Géopolitiques de l’Est du Congo (C.E.R.G.E.C)
Téléphone mobile : +243 998 190 250
[1] Sous la direction de Gérard Chialand et Arnaud Blin, a été publié en 2016 un ouvrage remarquable sur l’Histoire du terrorisme de l’Antiquité à Daech.
[2] Selon Ben Laden répondant aux questions du journaliste Taysir Aluni de la chaîne Al Jazeera en octobre 2001, Al Qa’ida est une création de feu Abou Ubaida al-Banshari (un activiste Egyptien qui finit noyé dans le lac Victoria en 1996 alors qu’il organisait des cellules du réseau en Afrique orientale. On avait l’habitude d’appeler les camps d’entraînement pour les moujahidines contre le terrorisme de la Russie montés par lui « la base » Al Qa’ida. Et le nom est resté.
[3] Gilles Kepel donne des précisions intéressantes à la page 100 de son ouvrage « Fitna. Guerre au cœur de l’islam », ED. Gallimard : « Pour restituer la logique des activistes qui ont perpétré les attentats de New York et de Washington, il est nécessaire de retracer la double filiation qui y a abouti et qu’incarnent par excellence les deux principaux responsables emblématiques du réseau Al’ Qa’ida : Ayman al Zawahiri l’Egyptien et Oussama Ben Laden le Saoudien. Ils fomentent la prolifération planétaire du terrorisme durant l’expérience du jihad en Afghanistan pendant la décennie 1990, commencent à l’expérimenter lors des années d’exil et de pérégrinations au Soudan, au Yémen et en Europe de 1992 à 1996. »
[4] Voici comment la décrit Gilles Kepel dans l’ouvrage déjà cité à la page 306 : « En Europe, dans les années 1980, les fonctions de socialisation et d’encadrement ultra-rigoriste au nom de l’islam étaient exercées principalement par le Tabigh, un mouvement de retour à une foi rigoriste, né dans l’Inde des années 1920. Le Tabligh –dont le nom signifie « propagation (de la foi islamique) » – prône une orthopraxie très contraignante (s’habiller à la manière du prophète, dormir comme il dormait, couché à même le sol sur le flanc droit, etc), qui ressemble à celle des salafistes. Tous deux expriment une volonté de rupture au quotidien avec la société « impie » ambiante.
[5] Cheikh Amuli Banza Souleymane (35 ans) qui a reçu une formation au jihad à Mombasa (Kenya) est poursuivi pour participation à un mouvement insurrectionnel et détention illégale d’armes de guerre (RP 151/2017). Instructeur et prédicateur, il apprenait les tactiques de combat aux combattants ADF. Il a été capturé lors des affrontements contre les Forces armées de la RD Congo (Fardc) près de la rivière Bangu non loin de leur Q.G. de Madina (Medina).
Livre
ISBN: 978-2-930765-16-7
Date de publication: 12-2016
Format: 14,8x21
Volume: 268 pages
Catégorie : Politique
Prix 20,00 €
Beni ville et territoire dans le Ruwenzori au nord de la RD Congo vit dans la terreur et l’horreur depuis 2014 : des populations civiles kidnappées, ligotées avant d’être massacrées à la hache et à la machette.
Ce livre met à la conscience de l’humanité une histoire du terrorisme mal connu : les islamistes ADF.
Le terrorisme des islamistes ADF, tel que vécu et décrit ici, permet d’élaborer des critères plus réalistes et plus objectifs afin d’appréhender, à de différents niveaux de responsabilités, ce qui mérite le blâme ou l’éloge au sein des services de défense et sécurité de la RD Congo et de la Monusco (Nations – unies).
Le grand mérite de ce livre, le premier écrit par un journaliste congolais qui a fait ses preuves dans l’investigation, est de toucher et revisiter l’art de la guerre dans les transformations qu’elle impose aujourd’hui, face aux enjeux géopolitiques et géostratégiques.
Né le 5 janvier 1959 à Vanga dans la province du Kwilu (RDC), Nicaise Kibel’bel Oka est l’un de rares journalistes d’investigation en RD Congo. Directeur du bimensuel francophone Les Coulisses, il dirige aussi le Centre d’Etudes et Recherches géopolitiques de l’est du Congo (C.E.R.G.E.C.) qui s’est spécialisé dans des recherches géopolitiques et géostratégiques de la région des Grands Lacs africains. Il est lauréat des prix Toges noires (RDC en 1994), prix Abraham pour la Conservation de la nature (USA 2006), prix africain 2009 pour la Liberté de la Presse décerné par CNN et a été proclamé parmi les 100 Héros de l’information au monde en 2014 par Reporters sans frontières (RSF).
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Date de dernière mise à jour : mardi, 19 mars 2019